Rebecca conduisait tranquillement, dans le flot fluide de la circulation. Comme d'habitude, elle avait emprunté la voiture de Nola. Les deux colocataires partageaient les frais d'essence, parce que Rebecca n'avait pas les moyens d'en acheter une. Or, elle n'avait trouvé du travail que dans la banlieue de Dublin. En transports en commun, elle mettait plus d'une heure et cela lui faisait perdre un temps précieux. Alors Nola lui avait naturellement proposé de prendre la sienne pour qu'elle ne loupe pas cette occasion de faire de l'aide aux devoirs avec un petit sixième.
Cela faisait maintenant deux mois que tous les jours, du lundi au jeudi, elle venait passer une heure avec Anton pour l'aider à faire ses devoirs. Rebecca y consacrait souvent plus de temps parce que le garçon, s'il était très gentil et toujours enthousiaste, n'était pas vraiment fait pour l'école. Il se déconcentrait tellement facilement qu'il était incapable de faire un contrôler en entier, laissant ainsi des exercices entiers non faits. Ce qui était évidemment grandement problématique. Petit à petit, la jeune fille réussissait à capter son attention un peu plus longtemps, déployant pour cela des trésors d'imagination, inventant des jeux qui le feraient en même temps travailler.
Aujourd'hui, elle était légèrement en retard mais de toute façon, les horaires étaient plutôt simples, tant qu'elle restait une heure. De la musique entraînante dans la voiture, Rebecca se prit à chanter tout en battant la mesure.

Elle finit par arriver et se gara facilement. Lorsqu'elle entra, Anton était occupé et répondit à peine à son bonjour. Comme d'habitude, son père n'était pas là, il rentrait plus tard, elle le voyait en général à la fin du cours. Aujourd'hui, il devait la payer pour la semaine, Rebecca était donc certaine de le croiser.
Anton était de bonne humeur, il avait eu un quatorze en langue étrangère. Pour lui, cette note était extraordinaire et Rebecca était aussi très fière de lui. Le petit n'était pas extrêmement doué dans les matières littéraires mais avec beaucoup de travail et un peu de bourrage de crâne, il finissait par y arriver. Bon, la rousse ne criait pas victoire trop vite, les notes d'Anton allaient et venaient et parfois descendaient très très bas. Ce qui désespérait un peu Rebecca qui avait du mal à voir ses progrès, surtout quand il avait des cartons parce qu'il avait oublié de retourner la feuille du contrôle par exemple.
Ce soir, Anton n'avait pas beaucoup de devoirs, alors la jeune fille lui proposa de construire eux-mêmes le jeu du mémori. Le principe était simple : faire deux carrés avec un même mot écrit dessus. Rebecca choisit des mots anglais qu'Anton avait du mal à retenir. Ils firent ainsi une vingtaine de paires pour que le jeu ne soit pas trop facile. Tout en découpant et inscrivant le vocabulaire, Rebecca demandait à l'enfant comment s'était passée sa journée, et ils discutaient tranquillement.
Anton était vraiment un gamin agréable, plein de vie et très curieux. Parfois il agaçait prodigieusement la rousse, notamment lorsqu'elle lui faisait faire des dictées. Sa mauvaise volonté était évidente. Enfin, aujourd'hui Rebecca était aussi fatiguée par sa semaine et n'avait aucune envie de se battre avec Anton. Alors un petit jeu, c'était très bien.
La jeune fille appréciait d'autant plus ces cours que l'enfant n'avait pas encore présenté d'Aptitude et était ainsi tout à fait normal. Pas qu'elle déteste les Sigma, ça aurait été difficile, mais il était connu que les petits Sigma étaient beaucoup plus compliqués à gérer. Imaginez un gosse qui se met à faire s'envoler des objets, ou qui est capable de vous donner de petites décharges. Déjà les gamins normaux faisaient souvent n'importe quoi, alors ceux qui avaient une capacité spéciale... Rebecca n'osait penser à l'état d'une salle de classe après une journée de cours. Si Anton ne tenait pas en place et restait difficilement concentré, au moins il ne faisait rien de bizarre.
Pour terminer l'heure un peu plus sérieusement, Rebecca lui concocta un petit contrôle sur le vocabulaire d'anglais qu'il devait avoir assimiler en jouant au mémori.

«Dis, ma note elle comptera dans ma moyenne ?»

Rebecca ne réprima pas son éclat de rire.

«Non, je ne suis pas un vrai professeur tu sais. C'est une note pour de faux, pour voir ce que tu sais.
- Ah oui, c'est vrai. C'est bête quand même, parce que j'ai des meilleures notes avec toi !
- C'est normal, on est tous seuls tous les deux, donc tu es obligé de te concentrer. Alors que tu es dans une salle avec tous tes copains, tu as tendance à regarder les poissons rouges... mais je te rappelle que je ne serai pas toujours là, donc va falloir que tu apprennes à te concentrer.
- Mais c'est dur !
- Oui, la vie est dure ! Allez, au travail.»

Anton se mit à plancher, mais à intervalles régulières, il posait des questions stupides à Rebecca, l'orthographe d'un mot, s'il avait bien compris telle consigne. Bref, tout pour ne pas avoir à se concentrer entièrement sur sa feuille. La rousse ne lui répondait pas, se contentant de tapoter son bureau.
La porte d'entrée s'ouvrit soudain, et Rebecca devina que Cain était arrivé. Impossible de tenir Anton ensuite, il était trop heureux de retrouver son père. De toute manière, l'heure était terminée depuis cinq minutes déjà. Alors Rebecca libéra Anton qui se précipita sur son père.
Seule dans la chambre de l'enfant, la jeune fille remettait son manteau, laissant ainsi le temps à Cain et son fils de se retrouver sans sa présence.

Puis Rebecca les rejoignit dans le salon, un sourire aux lèvres. Putain, Cain était vraiment canon. Ce n'était vraiment pas le genre de réflexions qu'elle était censée avoir mais heureusement, c'était elle la télépathe. Quel dommage qu'il n'ait pas dix ans de moins. Un père élevant seul son enfant, c'était vraiment sexy. Bien sûr Rebecca ne voulait pas réellement qu'il se passe quelque chose, mais cet homme était vraiment agréable à regarder. Il avait cette aura fascinante qui donnait envie de le dévorer des yeux et de l'écouter indéfiniment. Rebecca ne savait pas grand-chose de lui, seulement qu'il travaillait dans la finance et qu'il n'avait pas beaucoup de temps libre, d'où sa présence. Elle ne le voyait pas souvent, seulement en coup de vent à la fin des cours.

«Bonsoir.»

Rebecca lui adressa un sourire avant de reporter son attention sur Anton qui sautillait partout en racontant à son père qu'il avait eu un quatorze. La jeune fille n'était pas pressée ce soir et attendait patiemment d'être payée.

Sa journée était réglée comme du papier à musique. Parfois un peu trop prévisible à son goût. Ce rôle était pourtant nécessaire, ramener de l'argent une obligation, garantir un avenir pour son fils indispensable. Cain s'était fait à l'idée que plus personne ne viendrait à l'improviste à son travail pour lui proposer un week end de vacances au bout du monde. Heureusement, Anton égaillait son quotidien. Son fils ressemblait beaucoup à sa défunte compagne dans son attitude et sa façon de se disperser en voulant essayer tout un tas de chose. Il n'était pas aisé de le suivre et son inconstance se faisait particulièrement ressentir dans ses résultats scolaires.
Hors de question de laisser ses notes dégringoler. Cain ne parvenait pas à sévir pour lui faire comprendre que tout cela était important, ni le temps de l'aider avec ses devoirs. Les moments qu'ils passaient ensemble étaient précieux, il avait bien du mal à faire autre chose que profiter pleinement de ce temps. Cain avait bien essayé de raisonner son fils, mais il fut très vite évident qu'Anton avait besoin de quelqu'un d'extérieur pour parvenir à rattraper la chute vertigineuse de ses résultats scolaires. C'est alors qu'il fit appelle à Rebecca, une jeune étudiante désireuse de se faire un peu d'argent. Les premiers contacts avaient été plutôt distant, Cain n'ayant aucune raison de s'attarder lorsqu'il la croisait. C'était une Lambda à ses yeux et ses relations avec eux étaient toujours moins évidente. Leurs échanges étaient donc simple, un peu plus long lorsqu'il s'agissait de la payer mais Cain ne s'attardait jamais plus que de raison, ne serait-ce que pour elle qui devait avoir bien mieux à faire que de discuter avec lui.

Sa journée avait été particulièrement longue et éprouvante. Une opération s'était très mal passée, un mauvais placement, la banque en payait les conséquences et tous les employés étaient mit sous pression. Cain résistait à celle ci, mais comme tout le monde il avait ses limites. Travailler sans s'accorder d'autre pause que quelques cigarettes fumées à la va vite n'était pas des plus agréable. La fin de la journée arriva bien trop lentement à son goût. Il avait hâte de retrouver Anton espérant que son cours avec Rebecca s'était bien passé. Quittant son travail, il passa acheter de quoi manger quelques spécialités asiatique, son fils appréciant cette nourriture et reprit la route pour rejoindre la banlieue de Dublin.

Il ne fut pas surpris de voir la voiture de Rebecca devant leur grande maison, parfois ils ne faisaient que se croiser très brièvement, d'autres fois elle l'attendait pour qu'il lui donne son salaire, comme aujourd'hui. Garant sa voiture noire dans l'allée, il rentra enfin chez eux, ne pouvant empêcher un léger soupir de franchir ses lèvres. L'endroit était spacieux, un peu trop pour être partagé par seulement deux personnes. Aucune décoration superflus, Cain avait engagé quelqu'un pour faire de l'endroit une ambiance calme et sobre et il n'y avait que la chambre d'Anton plus coloré pour trancher un peu avec le reste. Il fut accueillit par une petite tornade de bonne humeur qui s'accrocha à son cou en déclarant à tue-tête avoir eut une très bonne note. Cain passa une main dans les cheveux d'Anton, les ébouriffant énergiquement en lui adressant un sourire, le félicitant.

« Bonsoir. » Il releva la tête vers Rebecca, un très bref sourire passa sur ses lèvres. C'était tout de même un peu grâce à elle ce quatorze encourageant. « Je te confie ça Anton, pose ça dans la cuisine, s'il te plait. » Cain lui tendit le sac garnit de plats asiatiques qui embaumait déjà la pièce d'un parfum appétissant. Le gamin ne se fit pas prier et fila dans la cuisine, tout sourire.
Fouillant aussitôt les poches de son costume sombre, Cain sortit son porte monnaie, attrapant quelques billets qu'il tendit à la jeune fille, son salaire pour la semaine.

« Ravi de voir ses résultats s'améliorer. » dit-il simplement, bien que paradoxalement une pointe d'inquiétude semblait planer dans son regard. Ce qui le préoccupait à cet instant n'avait rien avoir avec les résultats scolaires de son fils. A bientôt onze ans, il n'avait fait preuve d'aucun signe d'une quelconque aptitude et ça le préoccupait beaucoup. Aux yeux de tous, Cain ne parlait pas beaucoup de son Aptitude personnelle, mais il ne la cachait pas pour autant. Il avait du mal avec la possibilité que son fils ne soit pas un Sigma, lui aussi.
« Je peux vous poser une question, Rebecca ? » Il marqua une pause, posa finalement son regard sur elle. « Avez-vous constaté quelques signes chez Anton, quelque chose qui pourrait révéler une Aptitude ? »
Son air soucieux était visible mais comme tous les parents, il s'inquiétait pour son enfant, difficile d'imaginer à quel point cette interrogation était importante à ses yeux. Sa question avait plusieurs but. Il la pensait Lambda et c'était une façon comme une autre de voir ce qu'elle pensait réellement de tout ça sans aborder de façon frontal le sujet délicat. Avec la montée des pensées anti-Sigma, Cain se méfiait grandement des sans-Aptitude...

Deux mois que cette jeune fille s'occupait de son fils, faisant en sorte qu'il puisse améliorer ses résultats. Rebecca restait pourtant une quasi-étrangère à ses yeux. Il connaissait son prénom et son nom, pas grande information de plus. Cain s'était décidé à faire confiance à son instinct, celui ci ne l'avait pas trahi visiblement. Son fils faisait meilleur juge que lui, après tout, et celui ci avait été très vite emballé par la demoiselle qu'il semblait apprécier. C'était largement suffisant pour Cain et constater une évolution ne faisait que conforter son sentiment premier. Elle se révélait être une jeune fille sérieuse sur qui il pouvait compter pour aider Anton. Elle lui garantissait de passer des moments bien plus agréable avec son fils qui abordait ses devoirs et sa vie scolaire d'une façon bien plus paisible qu'avant. Cette amélioration en elle même était déjà appréciable, Cain avait donc vite conclu que Rebecca Weaver était la jeune fille parfaite pour cet emploi et il était en était très satisfait.
Peut être que si elle avait été une Sigma, Cain se serait montré un peu moins distant. Il engageait toujours plus facilement la conversation avec ses semblables, même s'il semblait avoir moins de temps pour converser avec qui que ce soit en ce moment. Il la prenait toujours pour une Lambda et il avait du mal avec eux et leur difficulté à accepter les Sigma. Il ne fallait pas tous les mettre dans le même sac, il avait beau savoir que faire des amalgames n'éta pas correct, son expérience l'empêchait d'avoir un point de vue totalement objectif. Il ne fallait néanmoins pas se tromper d'ennemi, le gouvernement était bien plus méprisant que le Lambda moyen qui agissait sans trop réfléchir. En vérité, il n'était pas certain à cent pour cent de la véritable nature de la jeune fille, il ne pourrait jamais vraiment le savoir tant qu'elle ne lui disait pas directement. Il restait pourtant relativement certain d'avoir à faire à une sans-Aptitude.

Quoiqu'il en soit, la réponse de la jeune fille le fit hocher la tête, son léger sourire presque imperceptible refaisant brièvement surface. La stabilité était un mot qui ne semblait pas coller au caractère d'Anton. Mais comme tout parent il avait encore l'espoir de le voir évoluer. Elle avait réussi à lui faire décrocher une bonne note et c'était déjà une victoire.
Elle semblait prête à filer, mais Cain ne put s'empêcher d'aborder un tout autre sujet de conversation, profitant de l'absence d'Anton qui devait déjà grignoter les plats qu'il avait amené. Parler d'Aptitude avec quelqu'un dont il était persuadé être Lambda n'était pas dans ses habitudes. Que pouvait-elle y connaître ? Peut être qu'un signe qui serait évident pour lui, passerait totalement inaperçu pour une sans-Aptitude. La probabilité qu'elle lui donne la réponse qu'il attendait était relativement faible. Et pourtant il gardait un mince espoir, avec un peu de chance loin de son regard Anton révélerait une Aptitude.
Ce fut sans surprise qu'elle lui expliqua n'avoir rien remarqué du tout. Nouvel hochement de tête. Il resta assez détaché, pas vraiment surpris ni déçu par la nouvelle vu qu'il y attendait. Sa remarque sur les Aptitudes resta dans son esprit, elle s'y intéressait donc un minimum, pour une Lambda c'était intéressant. Il retira sa veste sombre qu'il accrocha à un porte manteau, lui tournant momentanément le dos.

« D'accord... Oui en effet, mais comme vous passez régulièrement du temps avec lui... » Cain se retourna vers elle mais ne développa pas, il n'y avait pas à développer. Sa question a elle ne manqua pas de le surprendre. Il releva un sourcil, resta un instant silencieux. L'idée même de partager quoique ce soit de ses inquiétudes lui paraissait totalement inconcevable. Ce qu'il était censé répondre à pareil question n'était pas très évident puis, ce n'était pas ses affaires, après tout. Il parut décontracté, la surprise quittant son expression, prenant déjà la décision de rester vague.

« Je n'attends rien en vérité, si ça arrive, j'aimerai juste être préparé. » Ce n'était pas tout à fait faux, bien qu'il attendait en réalité assez impatiemment une Aptitude qui ne donnait aucune signe de vie. Plus le temps passait et plus son inquiétude se précisait. « Vos parents n'ont pas fait de même, pour vous ? Essayez de faire attention à tout ça ? »
A son tour de poser une question sur un sujet qui ne le concernait pas vraiment. Mais au moins, ils seraient quitte et il saurait une bonne fois pour toute si Rebecca Weaver était bel et bien une Lambda ou pas.

Rebecca n'arrivait réellement pas à saisir ce que voulait Cain. En réalité, l'homme entier lui échappait. Elle ne savait pas s'il était mystérieux de nature ou s'il cachait vraiment des choses. Enfin, la jeune fille n'avait pas pu s'empêcher l'absence de sa femme. Anton n'en parlait jamais, alors Rebecca préférait ne pas mettre la conversation sur le tapis. Pourtant, elle était certaine que les problèmes de concentration du petit garçon venaient en grande partie de là, parce qu'excepté sa mère, sa vie semblait parfaitement stable et saine. Or, un enfant intelligent ne se dissipait pas autant sans raison. Cependant, jusqu'alors, la rousse n'avait jamais réussi à débuter la discussion. Elle ne voulait pas s'enfoncer dans des sables mouvants. Et sans trop savoir pourquoi, elle sentait que le sujet ne serait pas le bienvenu. Alors pour l'instant, Rebecca avait toujours préféré la fuite. Toutefois, si Anton ne s'améliorait pas sur le long terme, il faudrait bien qu'elle ose. Mais la jeune fille était bien placée pour savoir que les secrets faisaient parti de chaque famille et qu'il n'était pas bon de les mettre à jour.
D'ailleurs, Rebecca était étonnée que Cain aborde de lui-même un domaine aussi sensible que celui des Aptitudes. À vrai dire, si ce n'était pas totalement tabou dans la société, rares étaient les gens qui se vantaient d'être des Sigma. Bien sûr, certaines personnes utilisaient sans restriction leur Aptitude, mais ils ne criaient pas sous tous les toits qu'ils le faisaient. Rebecca sentait que Cain était un Sigma, mais elle n'en avait jamais eu la preuve. Alors, souhaitait-il ou non que son fils aient une Aptitude ?

«Oui, bien sûr, je comprends. Mais... serait-ce possible qu'il cache son Aptitude si jamais il l'avait développée ? Les enfants ne sont pas forcément tendre entre eux, et encore moins avec les Sigma. Enfin, je n'en sais pas grand-chose, je suis une Lambda et je ne suis même pas allée à l'école mais c'est ce que je constate. D'après ce que me dit Anton surtout. Quoique, il vous en aurait au moins parler à vous, vous n'avez pas l'air d'être contre les Sigma.»

C'était tellement étrange de dire à haute voix qu'elle était une Lambda. Elle aurait tellement aimé que ce soit vrai. Et si ça avait été son frère le Sigma ? Rebecca repoussa rapidement ses pensées perfides et lança un sourire à Cain, tout en hochant les épaules. Elle ne savait rien en réalité, et si elle avait avancé cette hypothèses, c'était principalement parce qu'elle avait senti qu'il attendait une réponse positive. Il y avait beaucoup plus de chances pour qu'Anton soit un Lambda. Alors Rebecca reprit la parole.

«Mais, vous savez, être lambda, ce n'est pas si mal ! On développe d'autres aptitudes, sans majuscule.»

Rebecca rit légèrement, sans penser au fait qu'elle mentait consciemment. Elle avait seulement rêvé de la vie de lambda.
La jeune fille se mordit les lèvres à la réponse de Cain. Comme s'il n'attendait rien. Son Aptitude n'était pas très développée mais ses pensées étaient limpides et clignotaient. Rebecca sentait l'impatience bien dissimulée de son vis-à-vis. Même si elle ne comprenait pas cette impatience, elle la trouvait louable. Elle aurait adoré cette réaction de la part de ses propres parents. Alors pourquoi Cain cachait-il ses sentiments ? Peut-être parce qu'elle était une lambda. Enfin, cela ne la concernait absolument pas de toute façon, elle avait déjà franchi la ligne en lui posant la question. Alors elle se contenterait de cette réponse évasive. De toute manière, Rebecca attendait-elle réellement quelque chose de précis ?

La question de Cain la laissa perplexe. Puis la jeune fille éclata de rire. S'il savait.

«Oh, si. Mes parents ont fait très attention à ça.»

Malheureusement, le résultat escompté n'était pas tout à fait le bon. Mais ça, Rebecca ne le dirait pas à haute voix. Cain pouvait croire ce qu'il voulait, il ne soupçonnerait jamais la vérité de toute manière. Rebecca avait tout de l'étudiante banale. Elle était en colocation, avait un petit boulot, réussissait ses études, sortait avec ses amis. Quant à sa famille... lorsqu'on lui posait la question, elle se disait fille unique. Bien sûr, quelqu'un d'attentif remarquerait rapidement qu'elle ne parlait jamais de ses parents, mais après tout, quel jeune adulte d'environ vingt ans se vantait de sa famille ? Aucune. C'est l'âge de l'indépendance, de la liberté. Alors, son manque de réponses n'était même pas suspect.

Anton revenait vers eux, un grand sourire aux lèvres. Il avait visiblement une idée derrière la tête, avec ses yeux pétillants et son air angélique. Rebecca ne put s'empêcher de répondre à son sourire. Parfois c'était une vraie tête de mule, mais il était aussi tellement mignon ! Enfin, le garçon avait probablement quelque chose à demander à son père. Ah, les enfants pouvaient être si manipulateurs ! Cependant, elle n'avait pas imaginé que la question d'Anton la concernerait elle aussi.

«Hey papa, t'as pris trop à manger, Rebecca peut rester manger avec nous ! Comme ça on aura pas à jeter les restes ! Allez allez dis oui !»

La jeune fille ne sut pas quoi répondre, elle rit légèrement, parce qu'elle était un peu mal à l'aise. Elle ne voulait pas refuser clairement, ce serait malpoli, mais elle n'allait pas non plus s'inviter chez l'homme qui la payait pour donner des cours à son fils. Surtout que Rebecca n'était pas vraiment certaine que Cain soit ravi de la proposition, et cela semblait logique : il devait vouloir passer le plus de temps possible avec son fils, sans qu'une intruse ne s'incruste. Enfin, en même temps, il devait aussi vouloir lui faire plaisir, tel que Rebecca avait perçu la relation. Dans tous les cas, le silence était préférable. Le choix revenait à Cain, même si les yeux suppliants de son fils et son immense sourire pouvaient le faire ployer.

Rester vague, se fondre dans le décor, être un individu avant tout. Ces réflexes guidaient ses gestes, ses mots. Lorsqu'il était chez lui, la pression retombait un peu et le Cain plus naturel pouvait s'exprimer. Son travail l'obligeait à maintenir une certaine image, c'était également une façon comme une autre de se protéger. Mais il était chez lui, avec son fils, naturellement son attitude se détendait un peu. Une inconnue s'était tout de même glissée dans l'équation. Oscillant dans sa réserve protectrice, l'homme restait méfiant, un minimum de distance était de mise. Elle restait une étrangère et le resterait sans doute. Néanmoins, la question de la véritable nature de la jeune femme lui brûlait les lèvres. Dans l'attente, il ne lui était pas aisé de ne pas lui poser directement la question sans que cela n'en soulève d'autre dans l'esprit de la jeune fille. Elle devait déjà le trouver bien étrange à lui poser cette question sur l'Aptitude d'Anton, laissant le doute planer sur ses véritables attentes.
Elle finit par le dire, le mot Lambda. Pas de surprise, son impression première se révélait être la bonne. Cain hocha vaguement la tête, comme pour approuver ses paroles. Une part de lui restait un peu déçu, l'espoir qu'elle se révèle être une Sigma était relativement faible, mais il avait été là l'espace d'un instant. Rebecca redevenait insignifiante. Une étudiante toute simple qui semblait douée d'un minimum d'empathie, imaginant avec plus ou moins d'exactitude ce que pouvait penser un Sigma. Elle n'avait pas tout à fait tord, bien qu'il avait du mal à imaginer Anton lui cacher quoique ce soit. D'un autre côté, il lui était peut être plus simple de parler de ça avec quelqu'un d'extérieur, quelqu'un qui n'avait pas entre ses mains une Aptitude comme la sienne.

« En effet, je n'ai rien contre les Sigma, en étant moi même un. Vous avez peut être raison, par expérience je sais que ce n'est pas toujours facile. Nous verrons bien... » conclut-il, songeant à ses propres difficultés, à l'époque. Il allait devoir lui en parler directement, essayé de mettre sur le tapis le sujet délicat. Perdu dans ses pensées, il eut un petit sourire bref lorsqu'elle déclara qu'être lambda 'n'était pas si mal'. Il ne partageait pas vraiment cet avis, même si objectivement il n'avait rien contre les sans-Aptitudes comme elle, qui semblait un minimum tolérants. C'était d'avantage les autres qui posaient problème et que son fils partage ce trait commun avec eux n'était pas vraiment l'avenir qu'il espérait pour lui.

« Oui, j'imagine... »
En vérité, il n'imaginait rien du tout. Strictement rien. Ses pensées se fixèrent sur d'autre chose, comme la discussion qu'il allait devoir avoir avec Anton. Retournant finalement les interrogations de la jeune fille, celle ci se montra tout aussi vague que lui. Son rire était difficilement traduisible. Ironique ? Sincère ? Il ne put réellement se faire un avis, songeant que comme toutes les jeunes filles de son âge ses rapports avec ses parents ne devaient pas être simple.
La venue d'Anton coupa court à la discussion, il n'eut le temps d'essayer de comprendre que son fils déclarait soudainement qu'il avait amené trop de nourriture. Ca arrivait assez souvent, Cain ne faisait pas toujours attention au quantité, mieux valait trop que pas assez. Il ne fut pas véritablement surpris des dires de son fils. C'est d'avantage l'invitation qui le laissa au dépourvu. Il jeta un coup d'oeil à Rebecca, puis à Anton qui le regardait avec ses grands yeux sombres, son sourire angélique dont il était bien difficile de résister.

« Anton... Rebecca a peut être d'autre chose de prévu ce soir... » dit-il doucement, passant une main dans la tignasse sombre de son fils. Cain fit naître une légère brise sur son visage, secouant ses cheveux dans tous les sens, arrachant un petit rire enfantin à Anton.
« Et si elle a rien de prévu, tu veux bien ? » Il s'accrocha à la taille de Cain, réitérant le regard et le sourire mignon. Cain eut un petit soupir, suivit d'un sourire amusé. Il hocha la tête pour acquiescer, le gamin totalement enthousiaste semblait déjà prêt à mettre la table.
« Il semblerait que j'ai trop prévu pour ce soir... Ça vous dirait de vous joindre à nous ? Si vous n'avez rien d'autre de prévu, bien entendu. » finit-il par demander à Rebecca poliment, songeant qu'après tout, ce serait une façon comme une autre d'en apprendre un peu plus sur la jeune femme qui prenait soin de son fils, qu'elle soit une Lambda ou non.

Anton se tourna vers Rebecca, il n'y avait plus que son accord et ce dîner serait parfait ! Il trépignait d'impatience et sembla retenir son souffle, espérant que Rebecca accepte l'invitation.

Rebecca avait donc raison, Cain était bel et bien un Sigma. Cela ne l'étonnait pas beaucoup, même si elle se demandait quelle Aptitude il avait.
En tout cas, comme bien d'autres Sigma, il avait semblé en souffrir. La rousse eut un instant l'envie de partager aussi son expérience, mais elle réussit à se taire. Il croyait à son histoire, il fallait que cela reste ainsi. Toutefois, elle se demandait ce que Cain avait vécu. Il semblait tellement sûr de lui, calme et maître de son Aptitude. Il était difficile de l'imaginer en difficulté, ou faible face à des Lambda. Rebecca le voyait plus en train ignorant ses détracteurs, avec la grâce qui le caractérisait.
Enfin lorsqu'elle y repensait, la jeune fille n'avait pas été la victime des autres élèves, seulement celle de ses parents. Peut-être parce qu'elle n'avait jamais fait l'étalage de son Aptitude, même si elle ne la cachait pas encore à cette époque-là.
Aussi bien, si elle développait son Aptitude, elle pourrait fouiller parmi les souvenirs de Cain. Dès qu'elle eut cette pensée, la rousse la repoussa immédiatement. Quelle idée ! Chacun avait droit à sa vie privée et son Aptitude ne devait pas venir tout bousculer. Elle n'avait pas le droit de forcer les gens à révéler leur passé. Même si cela pouvait être très intéressant, Rebecca ne pousserait pas le vice à ce point. De toute façon, elle ne savait même pas si elle en serait un jour capable.

Et puis, la conversation cessa d'elle-même. Rebecca serait partie après les derniers mots de Cain si jamais un petit garçon de onze ans ne s'était pas accroché à son père, lui demandant d'inviter la jeune fille à dîner. Si Rebecca savait qu'Anton l'appréciait, jamais elle ne l'aurait cru capable de l'inviter de cette manière.
Et la réaction du jeune père la surprit au plus haut point. Bien sûr, il était évident que Cain voulait surtout faire plaisir à son fils, mais Rebecca n'aurait jamais juré que c'était à ce point-là. Avec un peu de chance, ce dîner permettrait de briser la glace entre eux et de réduire la distance. La jeune fille ne savait même pas pourquoi il y avait cette barrière entre eux, mais elle s'était créée naturellement. Enfin, l'explication n'était pas bien difficile à trouver. L'un comme l'autre tenait à leur vie privée et étaient plutôt réservés. Alors forcément, la discussion n'était pas forcément aisée. C'était pour cette raison que Rebecca se sentait aussi bien avec Nola et Neal. Eux étaient ouverts, bavards et instauraient une confiance immédiate. Toutefois, Cain, loin de repousser la jeune fille, l'intriguait. Et Rebecca était un peu trop curieuse.

«Non, je n'ai rien de prévu. Et j'accepte l'invitation, sinon je sens qu'Anton va bouder et que les prochaines heures seraient impossibles à vivre ! Je préviens juste mes colocataires et je suis à vous.»

La rousse adressa un sourire complice à Anton puis saisit son téléphone et s'éloigna de quelques pas. Cain comme l'enfant pouvaient toujours entendre sa conversation, mais de toute manière, celle-ci serait brève et sans intérêt. Rebecca composa le numéro qu'elle connaissait par cœur puis porta le téléphone à son oreille.

«Allô Nola ? Oui, c'est moi. Non, justement, si j'appelle c'est pour dire que je ne mange pas avec vous ce soir.»

Rebecca voulut continuer pour mettre fin rapidement à la conversation, mais Nola s'emballait à l'autre bout du fil. Elle était absolument persuadée que son amie avait rencontré quelqu'un et voulait tout savoir. Impossible de l'arrêter quand elle était comme ça. Ensuite, Nola prit peur et crut que son amie était dans la rue, cherchant à se procurer une quelconque drogue.

«Arrête, arrête, pause ! Bien sûr que je vais rentrer dormir à la maison ! Ne t'inquiète pas, je suis seulement chez Anton. Tout à fait ! Bon, je te laisse maintenant darling. On se voit tout à l'heure.»

La dernière phrase de Nola avait fait rire Rebecca. Qu'elle tente quelque chose avec Cain ? Nola ne l'avait jamais rencontré, c'était évident ! Beau mais froid, très peu pour elle. La rousse imaginait les soirées sans un mot échangé. Enfin, Cain était sûrement différent dans l'intimité.

Après avoir raccroché, Rebecca se tourna vers Anton qui l'entraîna par la main vers le canapé. Il la fit s'asseoir sur celui-ci tandis que lui-même s'installait confortablement dans un fauteuil. Visiblement, Cain n'était pas totalement ravi de l'initiative de son fils, mais le laissa faire. Ils avaient une belle maison, confortable. En même temps, Cain devait bien gagner sa vie. En comparaison, la maison de ses propres parents était tellement austère... des croix partout, des tableaux religieux, seulement de vieux meubles en bois. Enfin, celle des Hawfinch n'était pas non plus ce qu'il y avait de plus personnel. La décoration était faite avec un goût certain et Rebecca appréciait beaucoup, mais elle doutait que Cain en soit à l'origine. La rousse ne pensait pas que ce genre de détails l'intéressait. En même temps, Rebecca devait avouer qu'elle voyait mal ce qui l'intéressait tout court en réalité.

«Je peux aider à faire quelque chose peut-être ? Servir à boire ?»

La jeune fille n'aimait pas tellement être assise-là, dans ce canapé confortable, sans rien faire. Elle n'était pas tellement à l'aise alors faire quelque chose occuperait ses mains et son esprit. Ses parents étaient arriérés, stupides et méchants, mais ils lui avaient inculqué quelques notions comme la politesse.
Alors que Rebecca observait Cain, son regard fut soudainement attiré par ses mains. Et l'évidence lui sauta aux yeux. Une alliance. Ce bel homme était donc bien marié. En même temps, Anton ne venait pas de nulle part. Mais où était cette femme ? Elle devait être exceptionnelle pour avoir intéressé Cain, se dit la rousse avec un sourire ironique. Enfin, ne pas se mêler de ce qui ne la regardait pas. Sinon, l'homme pourrait croire qu'il avait aussi le droit de poser des questions indiscrètes, ce que préférait éviter Rebecca. Elle n'était pas une grande fan du mensonge et aimait autant l'omission.

En effet, Cain n'avait pas beaucoup de volonté lorsqu'il s'agissait de résister à la bouille de son fils. Il était encore dans un âge ou ce genre de combine fonctionnait bien, son père cédant assez facilement lorsqu'il s'agissait de ce genre de caprice léger. Heureusement, Anton n'était pas un enfant trop capricieux, il était plutôt rare qu'il le sollicite de la sorte, ce qui doublait les chances de réussites du petit Hawfinch qui n'abusait jamais de son talent à faire plier son père. Il avait son approbation, il ne manquant plus que celle de Rebecca. Cain espérait qu'elle ne se sente pas obligé, à son âge elle avait sans doute mieux à faire que de perdre son temps avec eux, elle devait être relativement libre de ses actes et elle en profitait sans doute au quotidien. Il fut assez surpris de sa réponse, s'attendant d'avantage à ce qu'elle décline poliment l'invitation. Anton, lui, fut ravi et laissa éclater sa joie en souriant de plus belle, trépignant face à cette perspective. Cain ne put retenir un léger rire face à son enthousiasme. Il hocha la tête lorsqu'elle s'éloigna pour prévenir ses colocataires, restant seul avec Anton qui joua à nouveau les sangsues en s'accrochant à lui.

« Je vais finir par croire que tu en as marre de partager tes repas qu'avec moi... » commenta Cain, tirant sur sa cravate pour la desserrer. Le petit garçon se mit à rire, quittant finalement son père en décrétant qu'il allait mettre la table.
Écoutant malgré lui la conversation de Rebecca, Cain rangea son attaché-case dans un coin et fit un peu d'ordre. Lorsqu'il vit Anton mettre la table, comme d'habitude, sur la table basse du salon, Cain faillit lui demander de tout amener plus loin, dans la salle à manger. Il finit par se raviser, songeant qu'une attitude trop formelle n'allait sans doute pas mettre la jeune fille à l'aise. Le peu d'invités qu'ils avaient se composaient des membres de sa famille, quelques rares collègues et ses amis proches. La plupart du temps, la grande table de la salle à manger était sollicité, mais pour trois, ça allait être un peu trop grand. Néanmoins, Rebecca restait une invitée, qu'importe le lieu où ils allaient manger.
La jeune fille finit par revenir, Cain l'invita à s'installer, faisant quelques aller et retour pour réchauffer les plats. Il en ramena quelques uns qu'il posa sur la table basse, la proposition de Rebecca lui arrachant un autre sourire.

« Non ça ira on s'occupe de tout... »
« Tu peux m'aider à attraper les verres ! » déclara finalement Anton qui lui, n'avait visiblement pas trop de scrupule à faire bosser Rebecca, montrant finalement qu'il commençait à l'adopter. Cain eut un soupir. Anton invita Rebecca à le suivre, tandis le bras pour lui montrer le meuble trop haut pour qu'il puisse les atteindre. Il s'occupa de ramener une carafe d'eau, tout sourire.

« Anton, tu as oublié, c'est notre invitée... »
Le gamin rougit un peu et hocha la tête, s'installant finalement sur le canapé à côté de son père, choisissant de se tenir un peu plus tranquille, bien que c'était très difficile pour lui. Il invita alors poliment Rebecca à se servir la première, des barquettes de nourriture asiatiques, plus précisément chinoise n'attendaient plus que d'être mangé.

« Alors comme ça vous n'êtes pas allez à l'école lorsque vous étiez plus jeune ? » demanda Cain, posant son regard sur elle, répartissant les derniers plats. Il s'installa à côté de son fils.
« Quoi ?! C'est possible ça ? » déclara soudainement Anton comme s'il venait de mettre la main sur une information hautement importante.
« Bien sur que c'est possible, c'est ta grand mère qui me faisait cours quand j'étais gamin... » Cain parlait plus tranquillement, la détente l'envahissait.
Anton n'ignorait pas l'information mais avait toujours cru que c'était normal, vu que sa grand-mère était une ancienne professeur. Mais une jeune fille comme Rebecca qui lui faisait cours et qui n'était pas allez sur les bancs de l'école ?! C'était au delà de son imagination !

« Mais comment ça se fait ? C'est parce que t'es une Sigma en fait ? » demanda Anton à la rousse, la fixant de ses grands yeux incrédules, attendant plus de précision sur cette histoire incroyable. La curiosité d'Anton n'étonna pas vraiment Cain, cela ne devait pas être la première fois qu'il posait cette question à Rebecca et la poser une seconde fois était totalement inutile. Dans son esprit enfantin, il était possible qu'elle le cache, tout simplement. Il espérait que cet insistance ne finisse pas par la mettre mal à l'aise, la pauvre était invitée à un dîner et voilà qu'elle était obligé de répondre à un interrogatoire.

Rebecca observait Anton mettre la table pendant que son père mettait un peu d'ordre dans la pièce. Enfin, ce n'était pas comme si c'était le bazar. La jeune fille pensa un instant à son propre appartement. Vivre à trois, trois jeunes, pas forcément très ordonnés et qui avaient mieux à faire que de ranger... Rebecca eut un sourire. Ils habitaient dans un bazar perpétuel mais cela ne gênait aucun d'eux. Ils arrivaient quand même à faire le ménage de temps en temps, la vaisselle était toujours faite et les vêtements sales ne traînaient pas. Mais tous les trois accumulaient les objets, ou bien c'étaient leurs affaires scolaires qu'ils ne rangeait pas. Toutefois, la rousse aimait cette ambiance particulière que cela créait, elle se sentait bien chez elle. Ici, si la décoration était superbe et que la maison était parfaitement rangée, tout était froid. Enfin, exceptée la chambre d'Anton, qui ressemblait à n'importe quelle chambre d'un petit garçon.
C'était étrange de voir Cain chez lui. Dans la tête de Rebecca, elle allait toujours «chez Anton». Mais cette maison appartenait à son père, même si la rousse avait tendance à l'occulter puisqu'elle ne le voyait jamais chez lui. Alors l'observer faire une chose aussi banale que mettre un peu d'ordre dans la pièce, ce n'était pas une vision à laquelle Rebecca s'était attendue. Cela le rendait plus humain. Cain n'était plus un simple employeur, il était aussi le père d'Anton.

Lorsqu'elle proposa son aide, en bon hôte, Cain refusa. Toutefois, Anton n'avait pas encore intégré toutes les règles, et il n'hésita pas à répondre oui à la jeune femme. Celle-ci lui sourit et le suivit dans la cuisine, où elle attrapa les verres dans le meuble que le petit lui montra.
Si Cain lui fit une légère remontrance, lui rappelant que Rebecca était leur invitée, mais la rousse fit un clin d'oeil à Anton. Après tout, c'était elle qui avait proposé ses services ! Mais la réflexion de son père eut le mérite de calmer le petit garçon, pendant quelques minutes tout du moins.
Élever un enfant était épuisant, mais alors élever un enfant seul... Rebecca eut une bouffée d'admiration pour Cain. Anton était adorable mais c'était une véritable boule d'énergie qu'il fallait occuper tout le temps. La jeune fille n'était pas certaine d'avoir la patiente suffisante, et puis, elle avait déjà du mal à s'occuper d'elle-même alors d'un petit, ce n'était même pas imaginable.

À l'invitation de Cain, Rebecca commença à remplir son assiette. Elle était très facile concernant la nourriture et aimait tout ce qu'il y avait devant elle. Elle piocha dans différents plats, tout en écoutant la question de Cain. Ainsi, il faisait donc réellement attention à ce qu'elle lui avait dit. Toutefois, avant qu'elle ne puisse répondre, Anton intervint et fit rire Rebecca.
Et cette dernière apprit au passage que l'homme avait aussi fait l'école à la maison. Intéressant, ils avaient donc au moins un point commun ! La rousse ne pensait pas cela possible.
Anton continua à parler, lui demandant une nouvelle fois si elle était Sigma. Il lui posait la question à peu près toutes les deux semaines, la jeune femme ne s'étonnait donc plus. Étrange toutefois qu'il associe école à la maison et Aptitude. Cain n'était-il pas aller à l'école parce que ses parents refusaient qu'il côtoie d'autres enfants à cause de son Aptitude ?

«C'est rare de croiser quelqu'un d'autre qui a eu l'école à la maison ! Enfin vous êtes le premier en tout cas. Et oui, j'ai fait l'école à la maison, jusqu'à mes treize ans. À cet âge-là j'ai fait des pieds et des mains pour aller à l'école, j'en avais assez de rester enfermée. Mes parents ont fini par céder !»

Parce qu'ils avaient peur que je leur fasse du mal, ajouta mentalement Rebecca. Mais Cain n'avait pas à savoir ça. Elle n'aimait pas tellement parler de son enfance, parce que cela l'obligeait à mentir constamment, mais cela semblait normal que Cain s'y intéresse, elle voyait son fils pratiquement tous les jours.

«Et non mon cher, faire l'école à la maison n'a rien à voir avec une Aptitude ! Ce sont tes parents qui décident. Et crois-moi, tu as de la chance que ton père ait choisi de t'envoyer à l'école !»

La voix de Rebecca s'était faite plus mordante sur la dernière phrase, montrant clairement qu'elle n'avait pas supporté être constamment enfermée chez elle. Son hostilité était un peu trop présente, sa haine contre sa mère l'envahissait par bouffées, comme à chaque fois qu'elle repensait à cette période de la vie. Alors elle regarda Cain et puisa dans sa tranquillité, puis attrapa de l'énergie éclatante d'Anton. Ils étaient tellement heureux tous les deux. Finalement, Rebecca leur lança un sourire.

«Enfin, je suppose qu'on peut aussi apprécier l'école à la maison, je ne voulais pas... enfin bref. Vous avez aimé vous ?»

Mais alors que la question s'adressait à Cain, Anton, qui réfléchissait depuis la réponse de Rebecca, eut soudain une révélation. «Mais... si t'allais pas à l'école, ça veut dire que tu pouvais te lever quand tu voulais ? Et tu te couchais tard ? Et surtout... que t'avais pas de devoirs ! Mais... c'est trop bien !» Rebecca eut un petit rire. «Ça veut surtout dire que tu n'avais pas de copains ni de récrés et que tu ne sortais jamais de chez toi.» Anton fit alors une moue embêtée : «Ah oui, c'est pas cool ça...». «Non pas très cool hein !».

En levant les yeux vers Cain, la jeune femme s'aperçut qu'il avait desserré sa cravate. Très sexy aurait dit Nola. Son amie aurait aussi ajouté de foncer. Ça serait vraiment drôle qu'elle vienne chercher Rebecca un jour, pour voir de ses yeux Cain. Rebecca était certaine que Nola parviendrait sans aucun mal à dégivrer un peu l'homme, voire même à le faire rire. Mais malheureusement, Nola n'était pas là, Rebecca devait donc compter seulement sur Anton pour détendre son père. Par chance, l'effet de l'enfant sur Cain était remarquable. Toute seule, Rebecca n'était pas très douée pour les conversations et pour les relations normales.

En effet, Cain l'avait écouté. L'information avait été facilement mise dans un coin de son esprit. Ce point commun était sans doute le seul qu'il partageait avec cette jeune fille Lambda. Son intérêt léger avait pour seul but d'en apprendre d'avantage sur la personne à qui il confiait son fils, rien de plus. Accorder de l'attention à une sans-Aptitude lui était rare, il fallait une bonne raison. Sa famille y avait le droit. Il fallait mettre cet état de fait de côté, se concentrer sur l'essentiel. Elle s'occupait d'Anton et ça valait un minimum de considération. Il l'interrogea alors poliment, Anton ne pouvant s'empêcher de sauter sur l'occasion pour s'agiter à nouveau, Cain avait l'habitude de ses humeurs et ne semblait pas vraiment gêné par celle ci. Rebecca avait du faire de même, ils avaient l'air de bien s'entendre et c'était assez agréable à observer bien que Cain n'y doutait pas vraiment au vue des dires de son fils.
Il laissa Anton se servir à la suite de Rebecca, l'écoutant partager un peu de son histoire. Ce n'était pas banal, en effet, à leur époque. La plus grande majorité allait à l'école, il avait choisi cette normalité pour Anton.
Le gamin semblait particulièrement intéressé par le sujet qu'ils abordaient, y voyant sans doute une possibilité d'échapper au système scolaire, comme si Cain allait changer quoique ce soit à leur routine sécurisante. Cain ignorait si cela était une chance, objectivement c'était la meilleure chose à faire, mais il espérait tellement plus pour son enfant que parfois, il doutait de ses choix. Etre seul à prendre les décisions n'étaient pas une tâche aisée.

« Il n'y a pas de problème. Je suis plutôt d'accord avec vous d'ailleurs. J'ai sans doute préféré l'école, la vraie, même si je ne regrette pas vraiment mon enfance pour autant, c'était deux expériences bien différentes. » expliqua-t-il avec un sourire, se servant à son tour. Il faut dire que lorsqu'il était tout jeune, il ne connaissait pas véritablement la ville et l'extérieur. Difficile de manquer de quelque chose qui nous est jusqu'alors inconnu. La découverte de son Aptitude fut un véritable déclic et il devint rapidement une nécessité qu'il change de cadre et quitte la campagne irlandaise.

« Et tu contrôlais ton Aptitude quand tu étais à l'école ? » demanda Anton, observant son père en grignotant son assiette avec appétit. Les questions liées aux Aptitudes semblaient le préoccuper tout autant que son père. Cain songea que finalement, ce n'était peut être pas le bon moment pour l'interroger sur une possible Aptitude, que tout cela ne ferait que lui mettre une pression supplémentaire. Et s'il se révélait être un Lambda ? Même s'il développait des aptitudes sans majuscule comme l'avait fait remarquer Rebecca, Cain avait bien du mal à se faire à cette idée.
Habituellement, il n'avait aucun mal à parler de ce sujet. Et il n'était pas si froid, en privé. Mais la présence de Rebecca changeait la donne. Il était dans sa bulle familière en compagnie de quelqu'un qu'il ne connaissait pas. Cet entre deux le poussait à la prudence. Et il n'appréciait pas tellement de parler Aptitude avec des Lambdas qui n'y connaissaient sans doute pas grand chose. Elle avait tout de même plus ou moins révélé un minimum d'intérêt et de connaissance pour la chose, c'était mieux que rien...

« Oui, plus ou moins. » répondit-il évasivement. « Mais on ne va pas parler Aptitude toute la soirée, je pense que Rebecca s'en fiche un peu de ces histoires. » finit par dire Cain, posant un regard sur la jeune fille. Il espérait que sa pirouette passe, si son fils continuait dans ce sens il était bien capable de réclamer une démonstration juste pour bluffer la jeune fille, lui même adorant le voir utiliser son Aptitude dévastatrice. Si seulement elle avait été une Sigma, les choses auraient été bien différentes et la méfiance aurait pu être légèrement mise de côté.
« Bah ça l'embête pas ! Hein c'est pas embêtant ? » déclara Anton, adressant un joli sourire à Rebecca, appréciant visiblement sa compagnie. Cain ignora un peu la question de son fils, se tourna finalement vers leur invitée.
« Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas. » dit-il, poliment, espérant que la jeune fille se sente tout de même un minimum à son aise dans ce repas improvisé. Il avait du mal à ne pas se dire qu'elle devait bien s'ennuyer en compagnie d'un père célibataire peu extraverti et son fils turbulent.

Ne pas regretter son enfance. Quelle chance ! Une nouvelle fois, une pointe de jalousie vint s'immiscer dans les sentiments de la jeune femme. En même temps, est-ce si elle était allée à l'école plus tôt, sa vie en aurait été changée ? Rien n'était moins sûr. D'ailleurs, tant que son frère était là et que son Aptitude n'avait pas été découverte, Rebecca aimait beaucoup que sa mère leur donne des cours. Au moins elle ne s'ennuyait jamais et Mary-Jane s'adaptait à leurs besoins et leurs envies. C'était seulement devenu un calvaire quand son Aptitude avait été révélée. On en revenait toujours à la même histoire, au même problème.
Toutefois, sans montrer ce qu'elle ressentait, Rebecca souriait poliment à Cain. Elle se demanda pourquoi il était allé à l'école s'il avait autant apprécié les cours à la maison. Peut-être se sentait-il seul aussi. En tout cas, la rousse ne lui répondit pas, ne souhaitant pas s'appesantir sur le sujet.
Cependant, ce n'était pas l'avis d'Anton, qui continuait de poser des questions à son père. Mais celui-ci les esquivait, répondant à peine. Visiblement, lui non plus n'avait pas tellement envie de parler d'Aptitude. Parce qu'elle était une lambda ? Pourtant, cela ne gênait pas Anton. L'enfant avait des passages où il ne parlait que de ça, posant mille questions, voulant absolument en avoir une. Et à d'autres moments, il n'évoquait pas une seconde le sujet, comme s'il était un petit garçon tout à fait normal. En tout cas, Rebecca préféra ne pas insister non plus.
Pour l'instant. Parce qu'en réalité, elle mourrait d'envie de voir Cain utiliser son Aptitude. Toutefois, la demande ne serait pas très polie. D'autant plus que l'homme verrait sûrement ça comme de la curiosité malsaine des lambdas à l'égard des sigma. Cependant, Rebecca ne doutait pas qu'Anton reviendrait à la charge et la jeune femme saurait l'appuyer au bon moment. Les deux étaient très complices et c'était visible.

«Non tu sais bien que ça ne m'embête pas, mais il faut écouter ton père !»

Besoin de quelque chose ? Cain était trop poli pour être vrai. Et trop coincé. Nola lui conseillerait de lui mettre de l'alcool dans son verre sans qu'il ne s'en aperçoive pour lui enlever le balai de son cul. Ça serait Anton qui serait content. La jeune fille réprima un rire en pensant à son amie. Elle imaginait exactement la façon dont Nola lui dirait ça. En tout cas, l'idée ne ferait pas de mal à Cain. Rebecca n'était pas une grosse fêtarde, surtout depuis sa période mouvementée, mais tout de même, de temps en temps il fallait savoir lâcher prise et s'amuser ! Des mots qui ne semblaient pas faire parti du vocabulaire de Cain. Heureusement, son fils ne souffrait pas des même maux. La rousse espérait que son père ne déteindrait pas trop sur lui.

Rebecca sentit la main d'Anton sur sa jambe. L'enfant lui chuchota à l'oreille que c'était le moment. Un instant, elle se demanda de quoi il parlait, puis elle se souvint de sa promesse. Elle lui sourit, mais prit une inspiration.

«En parlant d'avoir besoin de quelque chose... tant qu'on est ensemble tous les trois, j'ai une proposition à vous faire. On en a discuté avec Anton et voilà, il m'assure que les musées, c'est nul, ennuyant et j'en passe. J'aimerais lui montrer le contraire, et donc l'emmener dans un musée. Et je m'étais dit qu'après le musée, on pourrait également passer la soirée ensemble. On mangerait des pizzas devant un film, quelque chose dans le genre. Et il dormirait chez moi après. Je le ramènerais le lendemain matin. Enfin, si vous êtes d'accord bien entendu ?»

Rebecca n'était pas du tout certaine que Cain accepte. Il semblait plutôt à vouloir protéger son fils de tout, et elle redoutait qu'il ait peur de laisser Anton aller dans une colocation d'étudiante. Toutefois, la jeune fille n'était pas inconsciente et ses amis non plus.
Cependant, c'était sans compter le petit qui s'accrochait à son père avec ses grands yeux à la manière du chat potté et le suppliait de le laisser y aller.

«Dis oui, dis oui, dis oui ! J'ai trop envie d'y aller ! Allez dis oui et je serai sage pour toute la vie !»

Un grand sourire vint éclairer le visage d'Anton. Cet enfant avait un vrai pouvoir de manipulation qui faisait beaucoup rire Rebecca. Celle-ci renchérit, un sourire légèrement provocateur aux lèvres.

«Ça vous permettrait d'avoir une soirée pour vous. Je veux dire, pour prendre du temps pour vous, sortir, vous... amuser. Profiter sans ce petit garnement quoi.»

La jeune femme avait beaucoup hésité avant de formuler la demande à haute voix. En réalité, avec Anton, il en parlait déjà depuis plusieurs semaines. Le sujet revenait régulièrement. Au début, c'était une simple plaisanterie entre eux, Anton s'amusait à la chercher en disant que les musées c'étaient vraiment horribles. Et à chaque fois, Rebecca lui promettait qu'un jour, elle lui prouverait que c'était faux. Ensuite, ils avaient évoqué l'idée d'une soirée ensemble, où ils pourraient se goinfrer de glaces, chocolats, bonbons et pizzas. Le rêve pour tout enfant. Et puis, celui-ci voulait absolument rencontrer Neal et Nola dont il entendait narrer les exploits surtout Nola, à cause de son Aptitude. Et puis, pour finir, Rebecca lui parlait souvent de films cultes qu'Anton ne connaissait pas, et à chaque fois, la jeune fille lui répondait qu'ils les regarderaient ensemble.
Un soir, il y a une semaine, Anton lui avait dit qu'il voulait vraiment faire cette soirée et qu'il fallait demander à son père, parce que les promesses devaient être tenues. Rebecca était bien d'accord avec lui, mais évoquer le sujet avec son père était nettement plus compliqué. Cain paraissait tellement froid et distant... comment lui proposer de prendre son fils pour une nuit ?
Finalement, aujourd'hui c'était révélé être le bon moment. De toute façon, Rebecca doutait que Cain puisse refuser quoique ce soit à son fils lorsqu'il avait cet air-là. En tout cas, elle l'espérait. Elle avait autant envie qu'Anton de passer cette journée et cette soirée avec lui.

Garder une apparence de froideur, maintenir une distance... Les réflexes se faisaient naturellement, il n'avait même plus besoin d'y réfléchir. Son fils ne semblait pas vraiment faire attention à cette distance, ayant sans doute intégré que son père se montrait exclusivement chaleureux qu'avec un nombre de personne très réduite. Et encore. Anton s'y accommodait, comme tous les enfants il était adaptable et tant qu'il avait le droit à l'affection de son père, s'était tout ce qui comptait, finalement. Et puis, il était bien de trop occupé à prendre pleinement part à la conversation, n'hésitant pas à questionner, intervenant naturellement, tout à fait à l'aise en compagnie de la jeune fille.
Cain redoutait la demande de son fils qui l'adorait voir utiliser son Aptitude pour ébouriffer ses cheveux ou pour le faire tournoyer à toute vitesse au milieu de la pièce. Quand il était plus jeune il ne cessait de le réclamer, déclarant qu'il voulait pouvoir faire ça, lui aussi, quand il serait plus grand. La déception risquerait d'être double, s'il faisait finalement partie des sans-Aptitudes. Laissant ses pensées de côté, il se concentra vite sur la conversation, légèrement étonné de voir Anton chuchoter quelque chose à l'oreille de Rebecca. Leur complicité était plus présente qu'il ne l'avait cru, difficile de le remarquer avant ça, bien qu'Anton lui parlait de la jeune fille, il ne les avait jamais beaucoup vu interagir ensemble.
La demande de Rebecca le laissa silencieux, sur le coup. Cain leva un sourcil et il eut à nouveau l'impression d'avoir été totalement absent, découvrant finalement au dernier moment à quel point ces deux là s'entendaient bien. Comme s'il avait loupé un épisode ou deux, il constatait tout d'un coup que son fils tenait beaucoup à la jeune fille, au point de partager un véritable moment avec elle. Peut être qu'une présence féminine lui apportait beaucoup. Il avait toujours fait en sorte qu'il soit bien entouré, de présence de toute sorte. Mais cette complicité très fraternelle devait être quelque chose de nouveau pour lui, une sorte de grande soeur de substitution.
C'était un peu trop précipité à son goût. Rebecca restait une quasi-étrangère pour lui, et une Lambda pour couronner le tout. Lui confier Anton était difficile à concevoir. Il eut l'impression de se sentir un peu piégé par ces deux là qui avait l'air d'avoir préparé leur coup depuis un petit bout de temps.

« Je ne sais pas... »

Anton se précipita vers lui pour le supplier avec ses grands yeux sombres. Cela ne sembla pas avoir un effet quelconque, Cain semblait y réfléchir réellement, sans parvenir à prendre tout de suite la décision finale. Le sous entendu de la jeune fille le laissa amusé, il esquissa un sourire très bref. Masquant son léger sentiment d'agacement derrière cette bref décontraction, bien qu'à l'intérieur, son esprit s'agitait. L'image qu'elle avait de lui ne l'étonna guère. Elle devait le trouver coincé, froid et complètement étriqué. Tant mieux. Plus il semblait banale et terre à terre, moins on s'intéressait à lui. Ce qui lui convenait parfaitement.

« Et puis, avec toutes ces histoires dernièrement, je ne suis pas complètement tranquille... » commença Cain.
« Roh allez Papa, c'est juste pour une après midi et une soirée et je serais sage ! » Anton lui refit le coup de la bouille mignonne. Cain eut un soupir, fixa finalement son regard sur la jeune fille, rompant le contact visuel avec son fils qui était bien de trop manipulateur quand il s'agissait de le faire céder. Mais pour une fois, Cain semblait bien moins sensible à ses talents, sa méfiance prenant le dessus.

« Un musée, juste un musée, on est d'accord ? »
« Oh oui, t'es d'accord, t'es d'accord ! » piailla Anton prenant aussitôt la question comme un accord tacite.
« Je suis d'accord pour un musée... Mais pour le reste, vous êtes sur que ça ne dérange pas vos colocataires ? » demanda finalement Cain à Rebecca, très peu à l'aise à l'idée de laisser son fils au milieu d'inconnu Lambda. Peut-être qu'il devait se faire une raison, que c'était son monde, qu'il fallait bien qu'il s'y habitue... Cette fatalité ne voulait pas être intégrer à son esprit, le blocage était toujours la dans son esprit, l'empêchant de réellement appréhender la chose, la véritable possibilité que son fils ne développe strictement aucune Aptitude. C'était la, au dessus de sa tête, épée de Damoclès qu'il sentirait passer quand son fils passerait l'âge de seize ans. Age limite où tout les spécialistes jugeaient qu'après ça, si aucun signe était visible, l'individu resterait éternellement Lambda.

Comme l'avait prévu Rebecca, Cain hésitait. À vrai dire, s'il n'avait pas encore refusé, c'était probablement uniquement pour ne pas décevoir son fils. La jeune femme pouvait comprendre sa méfiance, surtout pendant cette période un peu trouble. Bien qu'elle ne s'y intéresse elle-même pas énormément, elle savait bien que des enfants étaient enlevés. Toutefois, elle ne connaissait pas de petits Sigma et préférait se tenir en dehors de la vie politique. Après tout elle était censée être une lambda, et peu de lambdas s'occupaient des affaires des Sigma. Cependant, Cain possédait une Aptitude. Alors il devait faire particulièrement attention à son fils. Même si celui-ci n'avait pour le moment montrer aucun pouvoir exceptionnel.
Cain affichait une apparente décontraction, lui souriant même légèrement. Mais Rebecca sentait bien que son esprit était bien plus agité. En même temps, son silence en disait long. La jeune femme lui laissait toutefois le temps de réfléchir, ne l'interrompant pas dans ses pensées. Même Anton se taisait, ne quittant pas son père des yeux dans l'espoir de le faire plier. Tous les deux savaient bien que cela serait compliqué, mais pas autant. En réalité Rebecca avait totalement oublié le facteur enlèvement. Tous les parents étaient plus méfiants à présent, et nombre d'enfants Sigma ne sortaient plus dehors autant qu'ils le voulaient.
Comme l'avait prévu Rebecca, Cain parla de ce qu'il se passait en ce moment. Drôle de manière de le dire, la rousse pensait que l'homme était davantage à dire les choses telles qu'elles étaient. Cependant, alors qu'elle allait lui répondre, Anton prit les devants. Ah ce petit deviendrait un grand manipulateur !
Cela sembla toutefois décider Cain, qui répondit à la proposition en acceptant le musée. Bien, c'était déjà un premier pas ! Et il poursuivit même, demandant si avoir Anton ne dérangerait pas ses colocataires. Si ce n'était pas un accord direct, au moins, il n'avait pas non plus dit non. Son fils piaillait d'ailleurs en sautant partout et en criant qu'il allait visiter un vrai musée et manger des bonbons et voir des films. Impossible de l'arrêter, l'enfant était heureux et le montrait bien à son père.
À présent, restait à Rebecca de finir de convaincre Cain.

«Bien sûr que non ça ne dérange pas mes colocataires. Au contraire, ils ont hâte de rencontrer Anton ! Ils sont responsables, si ça vous inquiète. Ils feront attention à Anton autant que moi. De toute façon, si je peux me permettre, seuls les Sigma déclarés sont enlevés. Alors, même si Anton développe plus tard une Aptitude, il ne risque rien pour l'instant. Même si c'était le cas, entre Neal qui pratique deux sports de combat à haut niveau et Nola qui est une Sigma, il ne risque vraiment rien.»

Rebecca était certaine que mentionner l'Aptitude de Nola aiderait à convaincre Cain. Elle avait bien remarqué que ce dernier assumait ses pouvoirs et les recherchait même. Visiblement, il ne pensait pas qu'elle-même pourrait défendre son fils, mais dans sa tête, peut-être que Nola pourrait.
À moins que parler des événements récents n'étaient qu'une excuse. Visiblement, Cain était un père très protecteur et peut-être n'avait-il tout simplement pas confiance en Rebecca. Si d'un côté elle pouvait comprendre sa réaction, de l'autre côté elle se sentait légèrement en colère. Cain n'avait jamais pris le temps de la connaître, alors pourquoi se méfiait-il autant ? C'était un peu tard à présent, maintenant qu'Anton et elle avaient fait connaissance.

Soudain, le petit garçon, qui sautait partout dans la pièce, renversa un verre posé sur la table. Rebecca, qui l'observait, pressentit la maladresse. Avec Anton, ce genre de choses était fréquent, surtout quand il était aussi excité.
D'un même mouvement, Rebecca et Cain tendirent leurs mains pour rattraper le verre avant qu'il ne tombe. Et le résultat fut le contraire de l'effet voulu. Leurs mains se touchèrent et chacune empêcha l'autre de sauver le verre. Celui-ci s'écrasa au sol, répandant de l'eau partout sur le parquet.
Prise d'une bien vilaine curiosité, alors qu'elle ne le faisait jamais, Rebecca tendit son esprit vers celui de Cain, et tenta de le pénétrer pour voir ce qu'il se cachait dans ses pensées. Elle avait pris sa décision en moins d'une fraction de seconde, comme si son cerveau avait anticipé leurs gestes et savait que leurs mains allaient se toucher. Alors, tant que leurs peaux étaient toujours en contact, ce qui facilitait grandement son Aptitude, Rebecca ferma les yeux et essayer de percer les défenses de Cain.
Sans effet. Soit la jeune fille n'était pas assez concentrée, soit ce contact l'avait troublée, soit qu'elle était trop fatiguée ou pas assez entraînée. Beaucoup d'explications étaient possibles mais Rebecca était déçue. Pour une fois qu'elle voulait utiliser son Aptitude, cela ne marchait même pas. Frustration. D'accord, elle n'était pas très douée mais quand même. Enfin, grâce aux futurs entraînements de Nola et Neal, bientôt, Rebecca s'améliorerait et ce genre d'exercices se ferait facilement.
De toute façon, le moment était passé, ils s'étaient tous les deux reculés en se touchant.

«Désolée», dit finalement Rebecca à voix basse.

Désolée, elle ne savait pas bien pourquoi. Pour n'avoir pas réussi à sauver le verre, pour avoir effleuré la main de Cain ou pour avoir tenté de pénétrer dans son esprit. De toute manière, cela n'avait pas marché. Heureusement sans doute.
Sans plus attendre, la jeune femme saisit du sopalin qui se trouvait sur la table et commença à éponger l'eau qui se trouvait sur la table.

Résultat dé:

Cain était en train de tomber dans un véritable piège, ces deux là avaient prévu leur coup depuis un moment, il en était certain. Sans doute qu'Anton avait hésité à lui demander directement, persuadé qu'il refuserait net. Passer par Rebecca était un plan plutôt malin, Cain se montrait moins catégorique, ne serait-ce que pour ne pas paraître trop impoli. Cela ne l'empêcha pas vraiment de communiquer son scepticisme face à cette idée qu'il avait du mal à apprécier. Confier son fils à des inconnus ? Rebecca était une jeune fille qu'il ne connaissait pas le moins du monde et ses colocataires encore moins. Il ne pouvait qu'imaginer, son esprit n'hésitant pas à leur coller à tous l'étiquette peu flatteuse de Lambda étriqué. Mais qu'en savait-il, réellement ? Les amalgames étaient idiots, c'était plus fort que lui. Si cela ne tenait qu'à lui... Anton et lui ne fréquenteraient que des Sigma, évoluant dans un monde où les sans-Aptitude ne vous regarde pas de travers, ou le gouvernement n'en a pas rien à faire de votre avenir...
Silence. Cain mit un certain temps avant de répondre et malgré sa décontraction feinte, il n'était pas bien compliqué de sentir son extrême méfiance. Sans doute qu'elle l'avait deviné. Rebecca se montra patiente, exposant ses arguments tranquillement. Anton se réjouissait déjà, sans doute un peu trop vite, son père était au contraire bien plus décidé à trouver une pirouette pour remettre cette invitation à un plus tard très très éloigné. Un peut être qui décevrait son fils...
Les arguments de la jeune fille étaient relativement bien choisis. Il fut assez étonné de l'entendre dire qu'une de ses colocataires étaient une Sigma. Ce genre de cohabitation existait forcément, il le concevait bien, même si cela restait relativement étrange. Ça ne devait pas être simple de vivre avec des gens qui ne pouvaient pas comprendre les difficultés, le défi qu'était d'apprendre à gérer une Aptitude. Ce genre de chose allait plus loin que ce que les Lambdas pouvaient imaginer. Ça bousculait une vie, touchait le quotidien et pour certain ça allait bien au delà de tout ça. Cette incompréhension créait sans doute des barrières... Tout du moins, Cain l'imaginait. Le fait que l'autre colocataire pratiquait des sports de combat passa par une oreille et ressortit par l'autre.
Anton n'avait pas d'Aptitude, pas encore comme le soulignait Rebecca. Son argument devenait invalide, l'excuse rejetée assez facilement. Sa tentative de trouver une raison pour garder son fils près de lui tombait à l'eau. Il ne lui restait plus grand chose pour refuser, si ce n'est remettre tout ça à plus tard...

« Je dois vous paraître excessivement méfiant... C'est que je n'ai pas tellement l'habitude... »

Ceux à qui ils confiaient Anton aussi longtemps restaient toujours sa petite sphère qu'ils connaissaient depuis toujours. Rebecca s'occupait de lui depuis plusieurs mois déjà, il était temps qu'il lui fasse un minimum confiance, Lambda ou pas. Anton trépignait, il n'en pouvait plus de tout ce suspens qui lui semblait interminable. Cain eut finalement un soupir de résignation, posant son regard sur son fils agité. Il avait l'air tellement heureux face à cette perspective, comment lui refuser ? Il allait reprendre la parole quand soudainement, dans son agitation, Anton fit renverser son verre d'eau. Il eut immédiatement le réflexe de tendre le bras pour le rattraper, Rebecca fit de même. Leurs mains se poussèrent l'une contre l'autre et aucun ne parvint à se saisir du verre qui se déversa sur le sol.

« Vous êtes toujours sur de vouloir une tornade pareille avec vous, autant de temps ? » Cain attrapa de quoi essuyer les dégâts de son fils, nettoyant brièvement le sol. Le verre s'était brisé, éparpillé un peu partout sur le sol, il en attrapa les morceaux un à un. Anton avait cessé de s'agiter pour un temps et s'était assis bien sagement sur le canapé, l'air désolé.
« Je suis d'accord pour la sortie et la soirée... » dit soudainement Cain, rassemblant les morceaux avec soin. Il ne put finir sa phrase, Anton glissa vers lui pour entourer ses bras autour de son cou, lui chuchotant un remerciement au creux de l'oreille. Un sourire sincère étira les lèvres de Cain. Son fils, heureux, déclara chercher de quoi jeter les morceaux de verre et fila, grand sourire aux lèvres. Il l'observa s'éloigner, songeant à quel point il avait grandi. Il le revoyait encore tout petit, enfant imprévu qui leur avaient apporté beaucoup de joie à Ethel et lui. Il n'avait fallut que d'un éclair pour que leur petite famille se retrouve brisé.
Il accorda un sourire très bref à Rebecca, la remercia pour le coup de main. Ses pensées filèrent, il songea à une cigarette et l'envie de nicotine qui allait de pair avec la fin du repas. Bientôt, Anton allait faire son cirque pour traîner le plus possible avec lui au lieu d'aller se coucher. Un peu perdu dans ses pensées, un morceau de verre particulièrement tranchant lui échappa. Une entaille fit perler quelques gouttes de sang, le creux de sa paume étant superficiellement touché. Il observa un instant la plaie et songea assez rapidement que celle ci n'avait pas besoin de soin immédiat et continua sa tâche.

Excessivement méfiant, Cain l'était. Mais Rebecca ne l'en blâmait pas. Après tout, des parents un peu trop protecteurs étaient sans doute préférable à ceux qui ne s'en occupaient pas. La jeune fille se demandait tout de même pourquoi Cain était aussi prudent. Anton était un petit garçon épanoui, heureux même. Visiblement, son père l'avait parfaitement éduqué. De plus, même si les événements étaient troubles dans la capitale, l'enfant ne craignait rien. Sans doute toute cette méfiance venait de plus loin, du propre passé de Cain. Mais là, ce n'était plus les affaires de Rebecca.
Toutefois, Anton méritait d'être un peu plus libre, notamment pour inviter des amis. D'après ce qu'il lui avait dit, aucun de ses copains n'était jamais venu chez lui, même pas pour une après-midi. Rebecca avait vécu la même chose et elle en avait souffert. Elle ne laisserait pas Cain reproduire la même erreur avec son fils. Cependant, la rousse savait pertinemment que le prendre de front serait une mauvaise idée, il se braquerait. Alors, la jeune femme attendait le bon moment, comme pour la sortie au musée. Diplomate, elle donnait du temps au père pour réfléchir.

«C'est peut-être justement le bon moment pour tenter l'expérience. Plus on enferme un enfant, plus il a envie de s'envoler. Anton a suffisamment attendu non ?»

Rebecca adressa un sourire qu'elle voulait rassurant à Cain. Si elle trouvait ce dernier mignon dans son attitude protectrice, il fallait vraiment qu'il pense à profiter un peu de la vie. À part son travail et son fils, il n'avait visiblement aucune passion. Qu'est-ce que c'était triste. Enfin, Rebecca n'allait pas le baby-sitter, s'occuper d'Anton était largement suffisant. Elle devrait peut-être lui proposer l'air de rien de s'inscrire sur un site de rencontre ou ce genre de choses. Une femme dans sa vie l'aiderait sûrement à se décoincer un peu. Sauf si elle était comme lui. Oh malheur. Rebecca imaginait le couple qui n'osait même pas se toucher.

Anton renversa alors un verre, faisant réagir la jeune femme comme Cain. Leurs mains se frôlèrent et Rebecca tenta d'en profiter pour pénétrer son esprit. Malheureusement, ce fut un échec cuisant. Tant pis, c'était peut-être un signe du destin. La rousse s'occupa d'éponger la table tandis que Cain ramassait les bouts de verre qui jonchaient le sol.

«Vous savez, il ne sera pas le pire des quatre... je gère déjà deux gosses au quotidien, un de plus ou un de moins ! Au contraire, à plusieurs, ils s'occupent.»

Rebecca rit légèrement, pensant à ses deux colocataires. Oui, deux gamins qui réussissaient parfois à l'entraîner dans leurs bêtises. Elle-même était techniquement la plus responsable des trois mais plus les années passaient, plus elle perdait ses réserves avec eux deux. Pourtant, lorsqu'elle les avait rencontrés, c'était loin de gagner. À cette époque-là, elle ressemblait à Cain, en pire. Quelle horreur.

Cain acceptait. En réalité, Rebecca n'était pas très attentive et crut un instant avoir rêvé. Pourquoi cette soudaine décision ? Les doutes de l'homme paraissaient bien ancrés pourtant. Finalement, peut-être s'était-il rendu compte que son fils avait besoin d'un peu d'espace. Alors qu'Anton s'était pendu à son cou en le remerciant, Rebecca se contenta d'un sourire et d'un hochement de tête.

Visiblement, Cain était simplement heureux que son fils soit content. Et une nouvelle pointe de jalousie la piqua. Se détournant de la scène attendrissante, elle finit d'éponger le sol à l'aide du sopalin. Elle n'avait pas sa place entre eux, il était grand temps qu'elle parte. Qu'elle retrouve sa famille à elle, formée de deux personnes qu'elle avait choisi.
Bientôt, ce serait l'anniversaire de Gabriel. Il aurait eu vingt-sept ans. Vingt-sept. Il aurait peut-être eu des enfants à cet âge-là. Rebecca secoua ses longs cheveux. Ce n'était pas le moment. Cependant, cela lui rappelait qu'elle ne pourrait échapper à ses parents ce jour-là. Ils fêteraient son anniversaire alors qu'il n'était plus là. C'était morbide. Mais Rebecca était incapable de dire non à Mary-Jane. Elle se sentait trop coupable face à son regard de mère blessée, à jamais amputée. Flippant. Enfin, Rebecca ne savait pas exactement ce qui était flippant. Sa mère ou leur relation ? C'était sans importance après tout, la vie de la jeune femme était devant elle.

Alors qu'Anton était parti chercher une pelle et un balai pour ramasser les derniers petits bouts de verre qui traînaient, Cain se coupa. Rien de grave, mais le petit revint juste à ce moment-là. Visiblement, il n'aimait pas tellement que son père ne se soigne pas et se mit devint Cain, les mains sur les hanches.

«Papa, faut te soigner ! Après ta blessure elle peut s'infecter et tout ! Rebecca elle m'a appris ce que c'était la gangrène ! J'veux pas que tu te gangrènes hein, sinon on va devoir te couper la main !»

Avant même que Cain ne put répliquer, la rousse prit elle aussi la parole.
Mon dieu mais qu'allait croire celui-ci alors que son fils lui raconter que Rebecca lui parlait d'infections de blessure et de gangrène. Il fallait tout de même préciser qu'ils avaient étudié ça dans un cadre historique, parce que des pharaons étaient morts à cause de gangrènes non soignées et Anton ne comprenait pas du tout ce que c'était. Au moins, il avait retenu cette leçon.
Toutefois, ne voulant pas qu'Anton en rajoute, Rebecca intervint sans attendre.

«Hm, je vois ce que tu retiens des heures qu'on passe ensemble ! Mais oui, on va le soigner, allez, va prendre du désinfectant, du coton et un pansement. Allez, hop hop hop !»

Immédiatement, au pas de course, l'enfant fonça vers la salle de bain. Rebecca adressa un sourire moqueur à Cain. Alors qu'elle se rapprochait de lui et lui attrapait la main, Anton revenait déjà avec tout le matériel nécessaire. D'une main, la jeune femme tenait celle blessée de Cain, alors que de l'autre, rapidement, elle mit du spray sur la coupure de l'homme. Puis attrapant le coton tendu par Anton, elle tapota la blessure et essuya le sang. Voilà, la plaie était propre. Échangeant un regard complice avec l'enfant, elle saisit le pansement qu'il lui tendait. Des éléphants roses. Sérieusement ? Au large sourire d'Anton, Rebecca devinait que ce choix n'était pas du au hasard. Sans un mot, elle le prit et le colla rapidement sur la coupure de Cain.

«Qu'est-ce que c'est mignon ! Interdiction de l'enlever évidemment, sinon la gangrène pourrait venir. Anton, tu devrais quand même vérifier plusieurs fois cette nuit que la blessure cicatrise bien, on sait jamais.»

À  présent, la jeune femme était censée relâcher la main de Cain. Mais une fois de plus, la tentation était trop forte. Le contact était clair, il suffisait qu'ils échangent un regard pour renforcer encore un peu plus le lien et permettre une pénétration plus facile dans son esprit. Pour Cain, seulement une demi-seconde se passerait de toute façon.
Alors, sans plus hésiter, relevant la tête pour croiser ses yeux, sa main tenant toujours celle de Cain, Rebecca essaya de plonger jusqu'au plus profond de lui-même.

Sans même qu'elle n'ait conscience d'avoir réussi, Rebecca perçut une envie de cigarette, vit Anton refuser de se coucher et au loin, distingua l'ombre d'une femme. Ces flashs avaient été courts mais donnaient à la rousse un bref aperçu des pensées de Cain à cet instant-là.
Rien d'exceptionnel, Rebecca se serait attendu à plus de fantaisies. Mais non, la tête de l'homme lui ressemblait, sans intérêt, distant et coincé.

Sans s'en rendre réellement compte, la jeune femme rompit le contact, relâchant la main de Cain. Une douleur aiguë lui vrilla le cerveau. Merde. Elle n'était vraiment pas douée, il fallait vraiment qu'elle s'entraîne. Portant une main à sa tête, elle se massa quelques instants les tempes. Elle allait rentrer et se mettre rapidement au lit. Avec un peu de chance, Neal ou Nola accepterait de lui faire un petit massage. On pouvait toujours rêver.

Maintenant, Rebecca avait une brutale envie de fumer. Elle savait bien que ce n'était pas son envie, que c'était celle de Cain, mais elle ne pouvait pas la refréner. Pourtant, elle n'avait touché à rien de ce genre depuis son année mouvementée. Rebecca avait conscience que commencer à fumer des cigarettes ne ferait que l'inciter à fumer autre chose. Et c'était tellement facile de retomber dans ce cercle vicieux.

"Bon maintenant que les dégâts matériels et humains sont réparés, je vais vous aider à débarrasser."

Rebecca lança un sourire hésitant à Cain, son mal de tête lui martelant la nuque.

Résultat dé:

Plus on enferme un enfant et plus il a envie de s'envoler. Cela aurait presque pu lui arracher un sourire. Cain s'abstint de tout commentaire, il ne pouvait nier que la jeune fille semblait bien se débrouiller avec son fils, néanmoins il ne comptait pas la laisser lui dicter quoique ce soit. Et pourtant sur ce point (il devait se rendre à l'évidence), elle avait sans doute raison. Il avait conscience de le surprotéger à l'excès. Tout un ensemble de facteur était à prendre en compte, cette surprotection ne venait pas de nul part, Cain n'était pas spécialement paranoïaque. Sa méfiance était tout de même suffisante pour que son fils soit contraint à le suivre dans sa façon de vivre si discrète et terriblement banale. Ça en devenait finalement inhabituel. Un enfant de son âge n'était pas sensé être enfermé dans une maison trop grande à longueur de journée. Ils faisaient des choses ensembles, séparément, il essayait de lâcher un peu de leste, mais c'était insuffisant. A le voir si heureux rien qu'à la perspective de passer un peu de temps avec Rebecca et ses colocataires, Cain du se rendre à l'évidence. Il le couvait un peu trop intensément. C'était pour lui un mal nécessaire même s'il craignait qu'à force leur relation en pâtirait. Quoiqu'il arrive, il comptait bel et bien le défendre envers et contre tout. Mais la jeune Lambda qu'il avait en face de lui n'était pas une menace... Elle ne semblait pas hostile, aucune inquiétude particulière ne semblait se lire dans ses yeux lorsqu'ils avaient brièvement parlé d'Aptitude. Tout ça devait la dépasser mais au moins, elle ne jouait pas le jeu des antis, condamnant à l'excès tout ce qui concernait de près ou de loin aux sorts de ses semblables. S'il avait ressenti le moindre sentiment négatif, la moindre peur, le moindre changement à leur égard, Cain n'aurait pas hésiter une seule seconde à éclaircir les choses et à se passer de ses services, si l'impression se confirmait. Mais il n'y avait aucune raison de se méfier autant.
En décidant finalement d'accepter, Cain mettait un peu de méfiance de côté. Il en avait encore en réserve, mais petit à petit, il semblait miraculeusement se dégivrer, bien que cela restait à peine visible. Pour lui, c'était un véritable exploit que d'accepter une telle chose. Quoiqu'il en soit, Anton semblait plus que ravi de sa décision soudaine. Pas de condition, pas de "oui mais", ni de "peut être" vague et lointain. Un simple oui et Anton s'accrochait à son cou, tout heureux. Cain l'observa filer, sourire aux lèvres. Ses pensées se dirigèrent vers lui qu'il ne voyait pas grandir alors qu'il nettoyait les bêtises de son fils avec l'aide de Rebecca.
Perdu dans ses pensées et ses envies de cigarette Cain ne fit pas attention à un morceau de verre particulièrement tranchant. Une blessure superficielle naquit sur sa paume, le sang perla légèrement, mais bien insuffisamment pour l'inquiéter. Il allait reprendre sa tache, peu perturbé par l'incident mais Anton ne semblait pas l'entendre de cette oreille. Cain se mit à rire, le voir autant campé sur ses positions et lui parler de gangrène avec un tel sérieux qu'il fut bien incapable de garder son impassibilité.

« Intéressant ce que vous lui apprenez. » reprit-il, l'air tranquille, retrouvant une certaine impassibilité. Elle attrapa sa main, il se laissa faire, l'observant sans rien ajouter. La blessure était bien de trop légère et ne méritait pas autant d'attention, à son goût. Il en avait eut des biens pires et bien plus profondes que celle ci. Anton revint vite avec tout le nécessaire pour désinfecter l'entaille.

« Vous savez, ça ne mérite pas autant d'attention... Mais, merci à vous deux. » Sourire discret, il laissa Rebecca s'occuper de sa main, songeant à la dernière fois qu'on lui avait prodiguer ce genre d'attention. La blessure était trop légère pour que le désinfectant soit douloureux, un vague picotement, rien de plus et la plaie fut nettoyée. Finalement, peut être que le problème venait de lui, qu'il ne laissait pas vraiment les autres prendre soin de lui. Il y avait eut Ethel et plus grande monde n'avait pu lui prodiguer quoique ce soit si ce n'est ses plus proches amis et encore. Il tenait plus naturellement le rôle du protecteur que celui du protégé. Le pansement choisi le fit relever un sourcil, il eut un sourire pour Anton qui semblait trouver tout cela très amusant.
« Magnifique... » commenta-t-il, pas vraiment convaincu par le motif, mais amusé par la bouille d'Anton qui s'était mit à glousser. Il tendit le bras pour lui ébouriffer les cheveux, ne remarquant nullement le trouble de Rebecca. Pour lui, ça n'avait été qu'une poignée de seconde imperceptible et elle finit par lâcher sa main.
Poliment, elle proposa son aide. La soirée filait à toute vitesse, beaucoup trop rapidement à son goût.

« Ça va aller, on va s'occuper de ça... Anton, tu vas pas tarder à aller te coucher... » Il protesta un peu et commença à débarrasser son assiette. « Tout va bien ? » demanda Cain, posant son regard sur Rebecca, la jeune fille semblait se sentir un peu moins à l'aise tout d'un coup. Il attrapa machinalement son paquet de cigarette. L'habitude était qu'il fume à l'extérieur pendant qu'Anton se préparait à aller se coucher.

La petite réflexion de Cain sur ce que Rebecca apprenait à Anton était loin d'être méchante et la jeune femme lui répondit dans un sourire. L'homme l'impressionnait et elle sentait qu'il se méfiait d'elle. Quand elle était seule avec Anton, tout était différent, la rousse était plus libre et disait ce qu'elle pensait sans barrière. Avec Cain, Rebecca devait réfléchir avant d'ouvrir la bouche et c'était difficile. Et puis, l'avis de son employeur sur elle-même et son travail comptait. Bien sûr, la jeune fille devait intéresser son élève, et elle faisait tout pour, multipliant les jeux où Anton apprenait sans le savoir, lui donnant des anecdotes sur les sujets qu'il aimait. Et à onze ans, tous les petits garçons aimaient les trucs gores, le sang, la violence. Anton était loin d'être le pire, mais les détails qu'il appréciait le plus portaient toujours sur la guerre. Ou la médecine. Alors forcément, l'histoire d'un pharaon égyptien, mort d'une petite blessure à la main parce qu'elle s'était infectée et qu'il avait négligé de la soigner, ça intéressait le petit. Rebecca ne savait pas vraiment ce que l'enfant racontait à son père, alors impossible de deviner si Cain était satisfait de son travail ou pas. Certes ses notes remontaient légèrement, mais quelques notes lamentables traînaient toujours.

Tout en adressant un sourire à Anton qui lui apportait le matériel nécessaire à éviter la gangrène, Rebecca nettoya la blessure superficielle.

«Ne t'inquiète pas Anton, bientôt il n'y en aura plus de traces.
- Quoi, même pas une petite cicatrice ? Marmonna l'enfant, visiblement déçu et faisant rire la jeune femme.
- Malheureusement non mon cher.
- Papa, tu seras pas pirate ni aventurier !
- Ou alors c'est un aventurier tellement fort qu'il a réussi à éviter toute cicatrice.
- Mouais, répondit Anton, guère convaincu.»

Laissant le petit continuer de monologuer sur la vie rêvée de son père et sur celle qu'il aurait eu si celui-ci avait été un pirate, Rebecca se connecta à l'esprit de Cain après lui avoir mis son joli et parfaitement ridicule pansement.
Elle qui ne pensait pas avoir de résultats, elle fut servie. Puis déçue. L'esprit de l'homme était désespérément banal, comme sa vie. Où était le grain de folie nécessaire à l'épanouissement et au bonheur ? dirait Nola. Et son amie n'avait pas tort. Son esprit était triste, organisé, coincé. La jeune femme espérait qu'Anton ne deviendrait pas comme son père.
Rebecca avait maintenant mal à la tête. La douleur lui vrillait les tempes mais avec un peu de chance, elle passerait rapidement. Le contact n'avait pas été long alors normalement, sa migraine non plus ne le serait pas.

«Oui, ça va très bien, merci. Juste une migraine soudaine, ça m'arrive souvent.»

La jeune femme lui tendit un sourire plus assuré malgré la douleur mais elle était étonnée que Cain ait remarqué son changement d'attitude. La plupart des gens ne s'en rendaient pas compte. Enfin, plus elle avait mal et plus elle était de mauvaise humeur, mais en général, Rebecca se réservait pour ses proches. Ici, Rebecca parviendrait à se contenir.
Son aide pour débarrasser fut poliment refusée, comme elle s'y attendait. Au moins, elle avait proposé. Anton n'avait visiblement aucune envie d'aller se coucher et grommelait, plus pour la forme qu'autre chose. De l'avis de Rebecca, pour les choses sérieuses, Cain n'était pas le genre à céder et Anton devait filer doux.

Son regard fut immédiatement attiré par le paquet de cigarettes que sortait Cain. Même si elle avait rompu le contact physique avec celui-ci, Rebecca sentait sa putain d'envie de fumer. Et cette envie engourdissait la rousse. Non non non, elle devait résister, ce n'étaient pas ses pensées, c'étaient celles de Cain ! Elle-même n'avait touché aucune clope depuis qu'elle était sortie de la rue. Ça commençait par la cigarette, puis c'était de l'herbe qu'on fumait, et la spirale infernale commençait. Cependant, sa bouche parla toute seule, contre sa volonté lorsqu'elle s'adressa à Cain.

«Je pourrais peut-être vous en piquer une ?»

Merde, trop tard. Enfin, ce n'était qu'une cigarette non ? Rien de grave, même si elle culpabiliserait sans doute un peu par la suite.

«Plutôt dehors non ?»

Il serait étonnant que Cain soit le genre de père à fumer à l'intérieur, devant son fils. Sans plus de cérémonie, Rebecca appela Anton pour lui souhaiter une bonne nuit et lui dire qu'elle s'en allait. Le garçon était déçu qu'elle parte aussi vite mais se contenta de lui faire un signe de la main et un grand sourire. De toute façon, ils se voyaient vendredi pour une super soirée. Ils avaient gagné la partie et l'enfant savait qu'il ne fallait pas tout demander d'un coup. Alors il lui dit sagement au-revoir, tandis que Rebecca attrapait son manteau et son écharpe.
Le temps se refroidissait rapidement en ce mois de novembre et la jeune femme était très frileuse. Bien vêtue, elle saisit son sac à main et se dirigea vers la porte d'entrée, lançant un regard à Cain pour l'inviter à la suivre. Il ne fumait probablement pas là d'habitude mais elle espérait que ça ne lui pose pas de problème.
De fines gouttes d'eau tombaient, mais Rebecca ne les sentait même pas. À vrai dire, étrangement, elle aimait autant le soleil et la chaleur que la pluie rafraîchissantes. Comme si l'eau la lavait de tous ces désirs sales, la purifiait.
Sur le perron, la jeune femme s'arrêta et sourit à Cain, attendant patiemment qu'il lui offre l'une de ses cigarettes. Heureusement, elle cachait bien son envie irrépressible de fumer. Toutefois, pour être certaine que son corps ne la trahisse pas, Rebecca enfouit ses mains dans ses poches.