Les aiguilles de l'horloge avançaient bien trop lentement pour Liam. Cela faisait depuis seulement trois heures qu'il était en cours mais c'était déjà trois heures de trop. Il était fatigué et n'avait qu'une envie, faire un tour dehors afin de prendre l'air. Oui il avait bien besoin de respirer un peu, s'éloigner de ses parents et de toutes pressions qui pourraient s'exercer sur lui. Ne pouvant supporter l'idée de patienter encore dix-huit minutes avant la sonnerie il ne put retenir ce besoin irrépressible d'avoir recours à son aptitude.

L'adolescent observa sa salle de classe. Le professeur avait l'air de s'acharner sur une élève n'ayant pas fait ses devoirs. C'était des conditions idéales pour mener à bien ce qu'il avait en tête. Il cala son crâne contre la vitre froide et rentra dans une grande concentration. Le jour où il avait compris que son Aptitude était efficace sur lui, Liam s'était emparé de l’occasion. Au début il voyait cela comme un cadeau du ciel lui permettant d'échapper à ses parents mais à présent il en était devenu presque entièrement dépendant. Dès que quelque chose n'allait pas il faisait en sorte de se plonger dans une illusion agréable.

Cependant cette habitude, bien qu'elle permette au Sigma de s'exercer régulièrement sur son Aptitude, porte sur lui un gros point négatif. Ses tentatives ne fonctionnant pas toujours, l'adolescent puisait dans ses ressources pour réessayer jusqu'à ce que l'illusion fonctionne. Dans de telles situations, il se retrouvait vidé et avait besoin d'une grosse nuit de repos. Cela lui valait également quelques effets secondaires le lendemain comme des maux de tête ou des vertiges. Ne pensant pas à toutes les conséquences que cela entraînerait, Liam partit dans son univers.

1 > 2 : L'illusion est seulement visuelle mais positive sur l'aspect émotionnel.
3 > 4 : Liam échoue et ce même après plusieurs tentatives.
5 > 6 : L'illusion est complète (visuelle + gustative) mais courte sur ses effets.

L'adolescent se retrouva alors transposé sur un banc au bord d'une mer déchaînée. Il n'arrivait pas à percevoir les odeurs mais il était certain que l'air iodé s'engouffrait dans ses poumons à chaque inspiration. Les vagues s'écrasaient une à une sur la côté tel un ballet orchestré par la nature. Puis Liam sentit sa gorge l'irriter. Il se commanda donc un jus d'orange express. Il n'y avait rien de matérialisé par son esprit mais il pouvait ressentir le liquide frais et sucré couler dans le fond de sa gorge. Oui il se sentait bien et si quelqu'un était présent pour l'observer il aurait vu ses traits en train de se détendre.

Mais Liam fut tout d'un coup sortit de son repos organisé par un souffle écrasant son visage. Il ouvrit les yeux en sursaut et découvrit à quelques centimètres seulement de son visage la moue colérique de son professeur.

- Alors comme ça Mr Hepburn vous vous permettez une petite sieste? Les génies de la littérature anglaise ne sont point à votre convenance?

Liam était tétanisé. Il ne savait que répondre face à cela. Peut être ne devait-il tout simplement ne pas répondre et se soumettre sans faire preuve d'une quelconque tentative d'insolence. Un instant l'idée d'utiliser son Aptitude contre son professeur lui traversa l'esprit mais sa raison le rattrapa vite. Il avait tout à perdre à faire une telle tentative. Il valait mieux pour lui rester calme jusqu'à la sonnerie.

Celle-ci résonna miraculeusement alors que son professeur souhaitait l’interroger. Il n'en fallut pas moins pour que l'adolescent s'empare de ses affaires et sortent à l'extérieur avec précipitation. Il ne pouvait pas rester plus longtemps dans le lycée. Il devait partir, mais où? S'il rentrait chez lui, son père n'aurait aucun problème à le remettre à sa place en le voyant débarquer. Marchant sans réfléchir il se lança dans un bus passant à un arrêt proche de l'école. Il ne savait même pas dans quelle direction il se dirigeait mais le plus important était qu'à chaque seconde il s'éloignait un peu plus de ce lieu scolaire nullement adapté aux Sigmas.

Lorsqu'il vit apparaître au loin la façade du Bewley's Café, il se précipita sur le bouton demandant l'arrêt du véhicule. Il descendit dés que le bus s’immobilisa et se dirigea vers la terrasse extérieure de l'établissement. En ce mois de novembre, rare étaient les clients s'aventurant à l'extérieur pour boire leur boisson chaude. Mais une fois arrivé devant la porte, Liam se rappela qu'il avait dépensé ses économies la semaine précédente pour s'acheter un sandwich, une boisson ainsi qu'un jean et un nouveau sweat-shirt. Se résignant il traversa la route et prit place sur un vieux banc public légèrement tagué sur le côté. Il s'installa sur le haut, posant ses pieds sur l'assise à côté de son sac de cours. Ne sachant que faire il se prit la tête entre les mains puis prit de nombreuses inspirations. C'est alors qu'il se rendit compte qu'un homme le fixait depuis quelques secondes en face de lui de l'autre côté de la route.

Tirage d'un dé de 6 pour Liam T. Hepburn.

Routine. Mot désignant un ensemble d'habitude, évoquant monotonie et absence de variété. Ça résumait parfaitement son emploi de trader. Il fallait être réactif, attentif et peu scrupuleux. Mais surtout, le peu de variation de tous ces éléments rendaient ses tâches routinières. Il effectuait la plupart du temps des journées qui lui semblait très similaire. Les secondes, les minutes, les heures, les jours... Le temps s'écoulait, rapidement, sans qu'il n'y fasse vraiment attention. Quelques moments échappaient à ces règles, bulle hors du temps où il se consacrait à son fils. Ces instants étaient précieux, sa raison de sortir le matin, de rentrer dans le quartier froid et sans vie des affaires de Dublin.
Un rendez vous annulé marqua une légère perturbation dans son emploi du temps bien huilé. Il avait du temps de libre, un trou dans sa journée qu'il ignorait comment combler. Ce sentiment lui rappela à quel point il s'était enfermé dans ce carcan qu'était ce rôle de trader au poste prestigieux qui ne savait même plus quoi faire pour se détendre, tellement ces moments étaient rares. Il allait quitter son bureau quand une de ses collègues frappa rapidement, entrant la porte étant ouverte.

« Ça te dirais de manger un morceau ? » proposa-t-elle après l'avoir salué, l'air de bonne humeur. Olivia lui accorda un joli sourire. C'était une jeune femme qui devait avoir quelques années de moins que lui, s'habillant toujours élégamment. Elle s'était fait une place plus que mérité dans cet univers masculin. Avec un peu d'effort, il pensait sincèrement pouvoir l'apprécier, malheureusement il y avait un mais. Cain la jaugea du regard un instant, semblant hésiter. Elle était un peu collante, mais dans le genre assez subtile. Elle n'y allait jamais frontalement ce qui l'empêchait de véritablement mettre les points sur les i. L'alliance qu'il portait toujours devait sans doute la maintenir à bonne distance, bien que dans le bureau le fait qu'il soit veuf n'était pas spécialement un secret. Il finit par accepter, à contre coeur, parce qu'elle lui avait assuré avoir proposer la même chose à d'autres collègues qui avait accepté.

Le déjeuner improvisé fut prit dans le restaurant chic de la capitale. Cain réussit à ne pas se placer trop près d'Olivia, sa collègue collante, et passa le plus clair de son dîner à discuter avec un petit nouveau qui lui racontait à quel point son Aptitude était gênante au quotidien. Tous les autres ne semblaient pas du tout intéressé par ces dires et il n'y avait que Cain pour l'écouter avec attention, n'intervenant pas beaucoup, se contentant d'être intéressé par ces dires. Il lui laissa entendre qu'il avait eut des difficultés, lui aussi et qu'elles étaient surmontables.
Ses collègues ne s'éternisèrent pas. Il resta un moment à finir son verre de vin et sortit s'en griller une. Son rendez vous annulé lui laissait encore beaucoup de temps à tuer. Tirant sur sa cigarette, il allait rejoindre son bureau pour effectuer quelques tâches quand un gamin attira son attention. Il avait l'air d'avoir quatorze ou quinze ans. Vu l'heure, il aurait du se trouver à l'école, comme Anton. Il le suivit du regard alors qu'il arpentait la rue, le vit rebrousser chemin devant le café à la mode du quartier.

Cain n'hésita pas vraiment à traverser la rue pour se diriger vers lui, cigarette entre les lèvres. Il évita un taxi qui filait à toute allure et rejoignit le jeune homme, assis sur un banc. Habillé d'un costard cravate, très élégant, il était assez facile de deviner son appartenance au quartier des affaires de la ville. Il avait beau inspirer une certaine confiance, aborder un gamin pouvait être mal interprété. Qu'importe, Cain voyait en lui son fils quelques années plus tard, un peu paumé, séchant ses cours pour une raison qui lui échappait. Il lui semblait bien difficile d'ignorer ce qu'il avait aperçu.

« Besoin d'aide ? » demanda poliment Cain en l'observant. Il écrasa le mégot de sa cigarette sous sa chaussure et observa les environs, le gamin avait l'air seul. « Tu es pas sensé être en cours à cette heure là ? Tes parents risque de s'inquiéter... »

Le visage de l'homme ne lui disait rien. Pourquoi le fixait-il avec tant d'intensité? C'est alors qu'il traversa la route. Apparemment il ne pouvait se contenter d'un simple contact visuel, il avait besoin de lui adresser la parole. Il avait l'air hypnotisé  par Liam ne retirant sa concentration que lorsqu'il faillit se faire renverser par un taxi roulant à toute allure. Durand ce court instant, l'adolescent l'observa avec un peu plus d'attention.

Il devait avoir entre la trentaine et la quarantaine. Il portait une cravate nouée autour de son cou ainsi qu'un costard. Liam se demandait toujours comment certaines personnes pouvaient rester habillées de cette manière des journées entières. Cela aurait fait depuis longtemps que le Sigma aurait étouffé. Ce dont il était persuadé c'est que cet homme n'avait rien à voir avec son univers. Un manchot des affaires, très peu pour lui. Son visage n'inspirait pas une grande méfiance mais sa tenue vestimentaire le repoussait profondément. Il n'avait nullement envie de lui adresser la parole.

Hepburn baissa le regard, faisant semblant d'être concentré sur quelque chose afin que ce gars abandonne l'idée de lui parler. Il sursauta lorsqu'il lui adressa la parole, lui demandant s'il avait besoin d'aide. Liam était étonné d'une telle question. Il ne lui avait rien demandé et souhaitait au fond de lui l'envoyer balader mais il n'en avait pas le courage. Il était plus habitué à rester poli tant que les circonstances jouaient en cette faveur. Lorsqu'il vit un mégot de cigarette tomber à terre avec un pied pour l'écraser il releva la tête sans réfléchir et se retrouva face à lui. Il ne pouvait à présent rompre le regard sans désobéir aux règles que ses parents lui avaient apprises : toujours regarder la personne à qui tu parles ET qui te parle.

- Non

Il ne fallait pas croire non plus qu'il engagerait la conversation comme si de rien n'était. Rendre les contacts au minimum, voilà ce que Liam avait en tête. Si l'homme n'avait rien de plus sérieux à lui demander il passerait vite son chemin. Mais voilà qu'il n'avait pas l'air de vouloir abandonner si vite. Il tourna la tête observant les environs et sidéra le Sigma par ce qu'il venait de lui annoncer. Qui était-il pour lui demander cela? Un gars de surveillance des élèves séchant les cours? Non mais sérieux! En plus de la méfiance, un mépris l'envahissait. D'ailleurs cela était un peu sans raison mais il faut croire que ce n'était pas le bon moment pour parler à Liam. Après tout il était partit pour avoir de l'air frais et il se retrouvait un inconnu lui faisant la morale.

- Vous me voulez quoi?

Autant être direct même s'il ne voulait pas connaître la réponse. Toute cette histoire lui embrouillait l'esprit. Il se leva pour se mettre plus ou moins à la hauteur de l'homme et sans vraiment réaliser débita quelques paroles.

- Vous êtes qui? Et vous inquiétez pas pour mes parents, ils en ont rien à faire.

Liam ne voulut pas rajouter de moi car cela jouerait un peu trop dans le mélodramatique mais il était bien vrai que ses parents se fichaient de ce que pouvait faire leur fils dans la journée, du moment qu'il se trouvait au lycée. Ainsi s'ils apprenaient qu'il avait sécher il aurait le droit à une bonne remontrance et des efforts significatifs de faux amour moins importants. Mais de toutes façons que pouvait-il avoir de pire à présent? Ses parents ne l'ont jamais aimé. A part Drew il n'a jamais eu de relations amicales et ce depuis sa plus tendre enfance.

Et puis, depuis quelques temps Liam fait des progrès considérables avec son Aptitude. Il n'a besoin de rien d'autre pour vivre en paix. Il est plutôt bon élève, de nature serviable... Mais il est surtout devenu un adolescent très méfiant envers les inconnus. Surtout les Lambdas riches comme l'homme qui l'avait accosté quelques secondes plus tôt. Il ne pouvait rester indifférent à ce qui se passait. Il avait besoin de comprendre pourquoi un homme sans raison était venu lui parler. Liam n'est pas quelqu'un qui de l'extérieur laisse croire aux autres personnes qu'il est du genre à discuter avec n'importe qui dans n'importe quelles circonstances.

Le jeune homme évitait son regard. Il avait du penser qu'en ne croisant pas ses yeux Cain laisserait tomber l'idée de l'aborder. Il en fallait bien plus pour le faire renoncer quand il avait une idée en tête. Avec ou sans contact visuel, Cain avait déjà prit la décision de s'assurer que tout allait bien. Il ne s'attarderait pas, se contenterait d'avoir le minimum d'information pour être certain que ce gamin n'était pas trop paumé. Il n'avait strictement rien à faire là à une heure pareille. Son côté père surprotecteur parlait pour lui, la perspective que son fils se trouve dans une telle situation ne le mettait pas très à l'aise et il ne pouvait décemment pas ignorer ce gamin, contrairement aux autres passants pressés qui ne semblaient même pas le remarquer.
La méfiance du jeune homme était presque palpable. Il n'avait même pas encore ouvert la bouche que Cain ressentait sans aucun mal à quel point il se protégeait. Leur regard se croisèrent, l'impression se précisa. Ce n'était pas Cain qui allait lui en tenir rigueur, lui même étant la méfiance incarnée. Il était au contraire plutôt rassuré de le voir sur la défensive, ça prouvait un minimum de jugeote. Il aurait été bien bête de lui accorder une once de confiance aveuglement.
Son non catégorique aurait presque pu le faire sourire. Il trouvait cela étrangement attendrissant, papa un peu gâteau espérant que son fils montre la même verve à dire clairement non à un inconnu qui se montrait étrangement gentil. Mais ce n'était pas suffisant. Cain avait besoin de plus qu'un simple non pour tourner les talons, il n'allait pas se débarrasser de lui aussi facilement. Le gamin n'avait pas l'air de vouloir lui donner plus d'information que ça, peut être qu'après tout Cain allait trop loin et que toutes ces questions étaient inutiles voir déplacées. Il n'était pas si jeune finalement, quelque chose dans son regard semblait dire le contraire, dégageant une certaine maturité malgré l'adolescence qui marquait ses traits. Sa question le laissa silencieux, il se retint de sourire, songeant que ça risquerait d'être mal interprété.
Et finalement, il sentit presque immédiatement le malaise derrière la phrase lâchée du jeune homme. Il l'avait trop entendu, celle la. Il eut du mal à ne pas en tirer tout de suite des conclusions hâtives, pour lui, il n'y avait pas trente six raisons qui poussaient des parents à rejeter leur enfant. Il s'agissait clairement de rejet. Parce qu'il fallait être idiot pour imaginer autre chose derrière la phrase du jeune homme.

« Tu es un Sigma, c'est ça ? »

Il lâcha ça de but en blanc, mettant de côté la distance, prenant une attitude différente. Le masque se fissurait un peu. Cain posa un regard sur le jeune homme, l'air compatissant. Peut être qu'il se trompait, peut être que ses parents ne s'intéressaient pas à lui pour toute autre raison. Mais celle ci lui vint naturellement, à force de décrier les Lambda, de les voir exclusivement comme des gens discriminants ses semblables plus ou moins consciemment.
Une pluie soudaine perturba leur conversation. Des grosses gouttes tombaient sur la capitale, les passants se pressèrent encore d'avantage, quelques parapluies apparurent dans la rue. Les nuages gris qui masquaient le ciel toute la journée avaient fini par lâcher la pluie diluvienne. Cain n'avait pas penser à prendre quoique ce soit, il n'avait pas prévu de rester très longtemps à l'extérieur.

« Et qu'est ce que tu comptes faire maintenant ? Laisse moi te payer quelque chose dans ce café avant que tu n'attrapes froid... Et je répondrais à tes questions, si tu en as... Ou je ne dirais plus rien, si tu le souhaites... Mais tu ne devrais pas rester ici, seul. » La pluie ne semblait pas se calmer, Cain n'y fit pas vraiment attention même s'il espérait pouvoir se mettre à l'abri, si possible en ayant la certitude que le jeune homme soit à l'abri et pas dehors en traîner avec un temps pareil. Son côté protecteur ressortait un peu malgré lui, il n'arrivait pas à s'enlever de la tête l'idée que ça pouvait être son fils qui se retrouve dans cette situation, bien que lui, contrairement à ses parents, se ferait un sang d'encre pour Anton.

Liam était agacé. Tout ce qu'il voulait c'était rester un moment seul loin de chez lui, loin de son lycée. Changer un peu d'air... Le problème n'était pas forcément le fait que quelqu'un l'aborde mais plutôt que l'homme qui se tenait face à lui était intelligent et gentil. Il aimerait pouvoir se projeter dans ce genre de personne quand il serait un peu plus âgé. Sans le costard bien entendu, ça il ne pourrait jamais le supporter.

Cependant la personne l'ayant accostée restait un inconnu et l'adolescent n'est pas du genre à faire des efforts pour se méfier. Il restait sans réponses à ses questions... Si ce gars n'avait pas envie de lui parler non plus il n'avait qu'à partir. Liam ne le retenait pas ici. Mais il remarqua quelque chose dans le regard de l'homme. Il avait l'air de tester plusieurs possibilités sur l'origine des dernières paroles du Hepburn. Il n'avait pas besoin d'assistante sociale.

Oui cet homme d'affaire avait l'air d'être quelqu'un de bien mais malheureusement il rappelait trop de mauvaises choses à Liam. Le fait qu'il séchait les cours, qu'il était rejeté par ses parents... qu'il se retrouvait seul sans savoir quoi faire. Il ne savait pas comment réagir à tout cela. Les personnes amicales et discutant facilement diraient sans aucun doute que l'adolescent est trop coincé ou qu'il réfléchit trop. Mais lui il n'est pas fait pour répondre du tac au tac. Enfin si mais de manière plutôt expéditive pour son interlocuteur. Il commençait à se laisser attendrir lorsqu'il lui posa une seconde question. Cela résonnait plus comme une affirmation.

Alors voilà! C'était ça ce qu'il lui voulait. Se défouler sur un Sigma, en trouver un, en étudier un. Liam se souvint alors que les temps actuels étaient à tendance controversée avec ces histoires d'Aptitudes. Au fond de lui il savait qu'il ne devait pas aborder le sujet mais lorsqu'il répondit il sous-entendait malheureusement son appartenance à la classe Sigma.

- Cela n'a rien à voir. Ce serait même plus simple si vous voulez tout savoir.

Tout était désespérant... Liam se retrouvait à présent à parler à un inconnu. Quand était-il tombé aussi bas? Heureusement qu'il n'était pas face à quelqu'un du style compatissant à tout bout de champs... Quoi! Était-ce cela qu'il venait d'apercevoir sur ce visage masculin! L'adolescent ne pouvait en croire ses yeux. Il voulait être tout sauf ça. Il vivait très bien et n'avait aucun problème personnel... Il... Il... En vérité il ne savait pas quoi faire, comment réagir? Fuir? S'abandonner à une conversation?

C'est alors qu'une pluie diluvienne se déversa écrasant les cheveux de Liam sur son front. Il n'avait jamais supporter la pluie... Quand le ciel s'assombrissait, il partait le plus souvent se réfugier dans son grenier et se plongeait dans une de ses comics préférées... Mais aujourd'hui, l'eau froide glissant dans son cou le réveillait. Il se sentait plus vivant que jamais... Il voulait abandonné le Liam que tout le monde connait et enfin vivre sans inquiétude. L'adolescent ressentait le même sentiment que celui du jour où il avait franchit sa ligne rouge. Où il s'était réveillé. Où il s'était vengé. La rage et la colère en moins mais cette souffrance d'abandon toujours et continuellement présente.

Pour comprendre, c'était exactement dans ces moments là qu'il ressentait le besoin d'utiliser son Aptitude. Il ferma les yeux et commença à se concentrer lorsqu'il se rappela qu'il était pas seul et qui plus est face à un homme lui ayant demandé s'il était un Sigma. Celui-ci venait d'ailleurs de lui adresser la parole.

- Et qu'est ce que tu comptes faire maintenant ? Laisse moi te payer quelque chose dans ce café avant que tu n'attrapes froid... Et je répondrais à tes questions, si tu en as... Ou je ne dirais plus rien, si tu le souhaites... Mais tu ne devrais pas rester ici, seul.

Il n'avait pas tort. De toutes façons tout ce qu'il lui avait dit était rationnel pour le moment sauf l'aspect que considérait Liam comme déplacé par rapport aux Sigmas. Au fond de lui il voulait accepter volontiers cette invitation. Après tout il n'avait plus un centime et cet homme lui proposait de lui payer à manger ou tout du moins à boire. Il finit de se laisser tenter par le deuxième argument je répondrai à tes questions... Qui était-il au juste? Il ne ressemblait pas à un thérapeute... Tout bien réfléchit il abordait un aspect assez paternel. S'il avait un enfant, il devait avoir beaucoup de chance de l'avoir comme père. Une personne attentionnée qui est présente mais laisse le choix d'avoir une interaction. L'inverse de son père en somme.

Il s’apprêtait à accepter mais il voulait tout d'abord demander quelque chose.

- J'aimerais vous poser une question maintenant si vous me permettez...

Pourquoi tant de politesse? Poser sa question aurait été une chose plus rapide. Mais Liam voulait sen sentir à un niveau similaire de l'homme. Sa question était d'ailleurs en relation avec cette envie d'égalité.

- Comment vous appelez-vous? J'aimerai mettre un prénom sur votre visage au lieu de vous désigner comme l'homme ou l'inconnu dans mon esprit.

Liam s'étonna lui-même à donner un argument expliquant pourquoi il posait une telle question mais après tout c'est ce qu'il pensait dans sa tête. Il voulait rester naturel au maximum tout en gardant sa méfiance au cas où.

Il ne niait pas. Cain prit sa réponse comme un aveu maladroitement masqué derrière la méfiance à laquelle il s'accrochait avec fermeté. Il n'en fallait pas plus pour que Cain se sente doublement impliqué. Et même s'il semblait blasé, complètement désabusé, le sort de ses semblables étaient bien une des choses qui lui tenait réellement à coeur. A présent, il était incapable de l'abandonner à son sort. Il ne pourrait tourner les talons et faire mine d'ignorer son trouble. Il ne pouvait faire comme tous ces autres passants qui se pressaient dans la rue, grosse artère de la ville ou gravitait un nombre incalculable d'anonyme. Chacun avec ses problèmes, bien de trop préoccupé par leur propre personne pour ouvrir les yeux sur ce genre de détails très discret. C'était léger, mais Cain sentait bien que quelque chose clochait, sa simple présence sur ce banc tagué, au lieu d'être en cours, était une preuve plus que suffisante, à ses yeux.
Il ne niait pas et laissait finalement entendre que ses parents s'en fichait pour d'autre raison. Une chose plus simple. Cain avait du mal à y croire. Des gamins perdus, négligés par leur parent à cause de leur Aptitude était une chose répandue, le rejet se faisait plus ou moins consciemment, peut être que l'adolescent n'en avait strictement aucune idée. Peut être que dans son esprit quelque chose le poussait à préserver l'image idéalisé qu'il pouvait avoir des ses géniteurs. Cain gardait de bon souvenir des siens, mais la distance n'avait fait que se creuser de plus en plus avec le temps. Il avait beaucoup plus de mal à les voir aujourd'hui, c'était presque une corvée.

La pluie irlandaise tomba à grosse goutte sur Dublin. Il n'avait nullement envie de s'attarder d'avantage sous l'averse, mais il ne pouvait pas encore filer trop hâtivement. Rien ne lui indiquait que ce gamin n'allait pas passer le reste de la journée à trainer sous la pluie, à prendre froid, seul avec ses pensées. Il ne pouvait s'empêcher de voir Anton lorsqu'il l'observait. Il l'invita assez naturellement, même si cela pouvait paraître assez inhabituel. Dans sa vie organisée, il n'avait pas vraiment de place...
Il eut un hochement de tête discret, encourageant le jeune homme à poser sa question. Les gouttes de pluie glissèrent sur son visage, l'humidité s'accrochait à ses cheveux qui avait cette tendance à devenir particulièrement indomptable avec la pluie. La fraicheur l'envahissait, ils allaient prendre froid à ce rythme. Dire qu'il lui suffisait d'un mouvement de main, un peu de concentration et il aurait pu se débarrasser des nuages, de la pluie. Se faire discret était pénible... Et la pluie redoublait d'intensité. Cain retira sa veste de costard sombre qu'il garda au dessus de la tête.

« Je suis Cain Hawfinch... » Quoi dire d'autre ? Son âge, sa profession et lui assurer qu'il ne faisait pas partie de la liste des délinquants sexuels ? Sa méfiance était palpable mais il ne l'invitait pas à aller dans une ruelle sombre, juste un café dans un lieu suffisamment bondé pour qu'il ne risque pas grand chose. « Tu t'es décidé ?... Tu as raison de te méfier mais j'ai rien contre toi... Les rues ne sont pas très sures pour les jeunes Sigma, tu sais. » Il n'eut le choix que de hausser le ton, les gouttes de pluie qui s'écrasait sur l'asphalte faisait un bruit assourdissant. Loin de lui le désir de l'effrayer avec ces histoires d'enlèvements, il lui présentait les faits, songeant que peut être ça l'aiderait à le convaincre à bouger.
C'est qu'il commençait à faire froid. Les parapluies se pressaient, les anonymes arrêtaient même leur route pour se réfugier temporairement sous un abri tandis que Dublin se noyait sous des trombes d'eau.